L'essentiel, c'est l'humain
La Dame est une statuette de stéatite âgée de 5 300 ans, la représentation d'un visage féminin, trouvée à Warka, autrefois Uruk, dans ce qui fut Sumer. J'ai rencontré la Dame il y a vingt-cinq ans à Bagdad et depuis, je l'aime. Ce visage... de chair douce, la courbe des joues adolescentes, la belle bouche hautaine et triste, les yeux immenses, iris d'obsidienne du Caucase ou lapis-lazuli du Badakhchan entre parenthèses d'ivoire des Indes ou de coquillage de Bahreïn. Oui, je sais bien, la Dame de Warka n'a plus ses yeux. Ils lui ont été arrachés il y a cinq mille ans lors d'un premier pillage. Ou peut-être celui qui, par un jour de flammes et de sang, força l'enceinte sacrée, ne supporta pas d'être nié par ce regard ouvert sur une réalité dont notre monde n'est que la brève part accessible à nos sens. Pour moi, la Dame a les plus beaux yeux qui soient et, depuis plus de cinq mille ans, ils pleurent et ne sont pas près d'arrêter. A Bagdad, les musées sont saccagés, la bibliothèque brûle, les hôpitaux sont pillés. La Dame a disparu. Les soldats américains protègent le ministère du Pétrole. La question n'est pas : devant une situation de choix impératif, vaut-il mieux sauver une oeuvre d'art ou une vie humaine, même si, je l'avoue, j'aurais personnellement hésité quelques instants entre sauver un livre ou sauver, si nécessaire, celui qui craqua l'allumette. Non, la question c'est l'humain. L'incendiaire et moi sommes de la même espèce, barbares tous de