Stefan Zweig note, dans les premières pages du Monde d'hier, écrit en exil durant la Deuxième Guerre mondiale : «C'est ainsi que je n'ai plus de lien nulle part, étranger partout, hôte tout au plus là où le sort m'est le moins hostile ; même la vraie patrie que mon coeur a élue, l'Europe, est perdue pour moi depuis que pour la seconde fois, prise de la fièvre du suicide, elle se déchire dans une guerre fratricide.» Et quelques lignes plus loin : «Mon aujourd'hui est si différent de chacun de mes hier, avec mon ascension et mes chutes, qu'il me semble parfois avoir vécu non pas une existence, mais plusieurs existences toutes diverses.»
Le désarroi lucide de Zweig ne me semble pas en rapport avec celui que traversent, aujourd'hui, nombre de citoyens européens devant le péril à leurs yeux constitué par le nouvel ordre ou le nouveau désordre mondial. C'est dans cette perspective que j'évoquerai les polémiques engagées autour du G8 à Evian, dont «ma» ville, Genève, accueille à son corps défendant les nombreux contestataires qui logent et défilent ces jours-ci sur son territoire. N'évoque-t-on pas, ici et là, rien de moins que la tyrannie du marché ou la barbarie des présumés casseurs ?
En d'autres temps, face à un désastre d'une autre nature, Stefan Zweig a su nommer la barbarie, au-delà même de son aveuglante expression nazie. Il a su montrer comment elle s'était trop souvent abritée derrière les progrès de la science. Il a su démasquer les belles idées (y compris les si