Samedi
Parle de nous
Comme souvent, je commence la journée par 50 kilomètres de vélo. La bicyclette donne des idées. Au retour, j'applique la réflexion d'un paysan du Vaucluse regardant Camus écrire, «alors, té, la première connerie qui vous passe par la tête, vous l'écrivez ?» Pédaler met l'esprit en condition avant de commenter l'actualité pour Libé. Un ami me conseille. Ne parle pas de tes lectures, on s'en fiche, ni des événements que les journalistes de Libé traiteront mieux que toi. Parle de nous, de la cambrousse. Je traverse des forêts, des champs scalpés de leurs moissons, en avance pour cause de canicule, et qui dévoilent déjà le brun triste des terres labourées, annonciateur de l'automne. Des routes désertes, des villages fantômes. L'actualité, ici, prend son temps pour venir déranger. Elle s'annonce d'abord dans le quotidien local, le Bien public, appelé «le journal», comme s'il n'en existait pas d'autres. On l'ouvre à la rubrique décès, le coeur tendu. Un voisin, un ami, une relation ? Presque tout le monde se connaît et il est rare de ne pas frissonner à l'éclair d'un nom. Le couperet, cette fois encore, est tombé plus loin. Ensuite, on lit la liste des accidents de la veille. Les malheurs du monde passent après les malheurs régionaux. Puis vient la page locale. On est sûr d'y trouver le maire de la ville et le conseiller général, frères siamois sur les photos. De bords opposés, ils ne se quittent pas d'une semelle. L'actualité, pour beaucoup, s'arrête à la lectu