Il y a à peine deux semaines, O.V. a ouvert une petite entreprise de fabrication de portes à Moscou. Un matin, une dizaine d'hommes en tenue de camouflage débarquent. Tout le monde est «invité» de se coucher par terre. Lorsqu'il se relève, O.V. se retrouve face au commandant local de la milice : il est venu faire connaissance, entre voisins. Pour sceller leur «amitié», l'entreprise d'O.V. va installer trois portes dans le commissariat, gratis. «Désormais, on est amis, soupire O.V., tantôt on aide leur collectif à arroser la nouvelle étoile sur l'épaulette du chef pour 300 dollars , tantôt ils nous font poncer et polir leur parquet 5 000 dollars.»
Le témoignage d'O.V. figure parmi la centaine recueillie et finement analysée par deux sociologues, Igor Kliamkine et Lev Timofeev, dans la Russie de l'ombre. Le livre est à la fois un document fourmillant d'anecdotes et le premier essai sur le rôle de l'économie informelle, autant dire sur la réalité russe au-delà du vernis des réformes. Cette Russie de l'ombre est un écheveau inextricable de relations informelles, d'échanges de services, de rackets et de pots-de-vin. Elle embrasse tous les secteurs enseignement, santé, milice , et l'on peut tout s'y procurer : du permis de conduire au diplôme universitaire en passant par une licence d'exportation et une carte de résident.
Le livre décrit comment les Russes, y compris les plus vertueux, deviennent immanquablement des maillons de cette chaîne. A la maternité, mieux vaut apport