Sous prétexte d'éviter aux gens de mourir (de quoi se mêle-t-on ?), le prix des cigarettes, déjà très élevé, va encore être augmenté. Les cigarettes vont donc devenir un produit de luxe que seuls les riches pourront se procurer. Où fume-t-on le plus ? Où la cigarette est-elle le dernier plaisir, la dernière marque de socialisation quand tout le reste s'est effondré ? Dans les prisons et les hôpitaux psychiatriques. Dans les couloirs de Sainte-Anne ou de Maison Blanche, les patients ralentis par leur camisole chimique, se déplaçant comme des petits vieux, vont les uns vers les autres avec ce seul laissez-passer aux lèvres : «Vous avez une cigarette ?» Autour de cet objet se nouent les relations normales de don, d'échange, de refus : «Ne lui en donne pas, me dit R. qui me désigne un autre patient, il en demande tout le temps. Par contre, à celui-ci j'en offre, parce qu'il en réclame rarement, et parfois même, il m'en propose.»
Dans ces services, où l'on s'ennuie à mourir, la conservation des cartouches donne lieu à une occupation quotidienne. Les patients les stockent dans le bureau des infirmières, avec leur nom inscrit dessus. Parfois, éclate un scandale qui les fait sortir de leur passivité : quelqu'un a pris en douce, dans le bureau, un paquet de leur cartouche. On enquête, on se méfie, on demande des comptes : on revit.
A Sainte-Anne, un garçon qui a perdu la mobilité de ses gestes et l'usage de la parole bénéficie d'un complot des patients. Les infirmières ont demandé de n