C'était à Grenoble, à l'automne 1973, un week-end pluvieux de novembre je crois, dans l'anonymat d'une salle paroissiale. J'avais 16 ans et deux ans de militantisme précoce derrière moi, dans l'effervescence des années gauchistes. Spontanément, je m'étais tourné vers les maos : les plus durs, les plus en rupture, croyais-je, avec mon milieu intellectuel et petit-bourgeois. J'avais été à des manifs de l'été : le Larzac au mois d'août, Lip en septembre. Paysans et ouvriers, les masses étaient en mouvement et les maos se préparaient pour la lutte armée finale. Terroristes : le mot ne nous faisait pas peur, on nous avait assez répété que c'était ainsi que Vichy et les nazis qualifiaient les résistants. En cet été 1973, un doute que personne ne formulait encore avait pourtant commencé à s'insinuer : comment concilier nos rêves d'armée secrète et la grande fraternité pacifique qui avait déferlé du Larzac à Besançon ? Etions-nous si certains que la France de Pompidou était celle de Pétain ?
Et voilà qu'au milieu des rumeurs, le grand chef en personne descendait à Grenoble pour expliquer la nouvelle ligne. Nous dénoncions à longueur de tracts la dictature des petits chefs dans les usines mais les nôtres se posaient là, grandes gueules culpabilisantes surjouant l'allégeance au prolétariat.
Le grand chef ne pouvait être qu'à cette image : encore plus dur, plus impitoyable, plus ouvriériste. De lui je ne savais que son nom de guerre Pierre Victor et sa proximité avec Sartre. Il était