Après de nombreuses tentatives infructueuses, mon insistance ayant fini par avoir raison de la détermination de son assistante, la faveur d'une rencontre avec Edward Saïd me fut accordée. Un quart d'heure m'était imparti, je devais m'y tenir. Pas une seconde de plus ne me serait offerte.
Je devais avoir 25 ans. A cette époque, j'avais l'habitude de frapper aux portes qui me résistaient, au point que c'en était devenu une fin en soi manière de nourrir une conviction dont je n'étais pourtant pas si convaincu moi-même : je voulais faire des films. Au nom de quoi les portes se seraient-elles ouvertes ? Je n'avais suivi aucun cursus d'études filmiques, ni dans un autre domaine d'ailleurs, et c'est à peine si je savais ce que c'était que ce truc : le cinéma. Bref, je n'avais rien à présenter. J'avais certes écrit un synopsis, mais pour un film qui ne vit jamais le jour, et dont je savais déjà qu'il en serait ainsi. Je l'emportai tout de même au rendez-vous.
Je frappai à la porte et entrai, pour être immédiatement interrompu dans mon élan. Tout au bout du gigantesque bureau qu'il occupait à l'université de Columbia, à New York, Edward Saïd était assis à sa table de travail et me fixait du regard, derrière ses lunettes juchées au bout du nez : «Restez où vous êtes !, me lança-t-il. Je ne sais pas qui vous êtes ni ce que vous me voulez, mais je suis sûr de ne pouvoir vous être d'aucune aide, alors pourquoi perdre votre temps et me faire perdre le mien ?»
«Bien, répondis-je, en ce cas