J'aime à penser que je ne représente que la littérature, une certaine idée de la littérature, et la conscience, une certaine idée de la conscience ou du devoir. Mais, sensible à l'hommage qui m'est rendu avec ce prix décerné par un pays européen de premier plan, dont la formulation évoque mon rôle comme celui d'«ambassadeur intellectuel» entre deux continents (le mot «ambassadeur», inutile de le préciser, est à prendre dans son sens le plus faible, dans un sens purement métaphorique), je ne peux résister à l'envie de vous soumettre quelques pensées sur le célèbre fossé séparant l'Europe et les Etats-Unis, fossé que mes centres d'intérêts et mes enthousiasmes seraient censés combler.
Tout d'abord, s'agit-il vraiment d'un fossé - que l'on continuerait à combler ? Ne s'agirait-il pas également d'un conflit ? Les déclarations courroucées ou dédaigneuses envers l'Europe, envers certains pays européens, sont aujourd'hui monnaie courante dans la rhétorique politique américaine ; et ici, à tout le moins dans les pays riches de la partie occidentale de ce continent, les sentiments antiaméricains sont plus répandus, plus perceptibles et plus immodérés que jamais. Mais quel est donc ce conflit ? Ses racines sont-elles profondes ? Je crois que oui.
Il est, depuis toujours, un antagonisme latent entre l'Europe et les Etats-Unis, qui est au moins aussi complexe et aussi ambivalent que celui qui existe entre parent et enfant. L'Amérique est un pays néo-européen et, jusqu'à ces dernières quel