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Libération
Critique

L'Europe, de l'antisémitisme à l'antijudaïsme

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publié le 3 décembre 2003 à 2h10

Depuis quelques semaines, comme des serpents devant un envoûtant joueur de flûte à idées, plusieurs intellectuels sont fascinés par le nouveau livre du philosophe Jean-Claude Milner. Son intelligence sèche, sa qualité de terroriste courtois provoquant et incisant la société d'une voix douce, pour ainsi dire tasse de thé en main, son élitisme alpin, sa violence calme, sa lévitation dans le glacier de concepts qu'il utilise comme autant d'armes blanches, tout les paralyse, les enthousiasme, les inquiète. La nouvelle thèse de Milner a en effet de quoi faire fermenter. En exterminant les Juifs, dit-il, Hitler a fait le travail dont l'Europe avait besoin pour s'unir dans la modernité.

Le Juif était posé depuis des siècles en terme de «problème», et non de «question», par les Européens ; il appelait donc, non pas des «réponses», mais une «solution» : Hitler l'a donnée, finale. Pourquoi le Juif posait-il problème ? Parce qu'il est la figure de la limite et de la transmission dans une «société illimitée moderne» qui n'en veut plus. Milner appelle cela : la «quadriplicité» du Juif. La «quadriplicité», c'est le ménage à quatre «masculin/féminin/parents/enfants», le lien de «convocation» qui unit l'homme à la femme et une génération à l'autre. Plus simplement, c'est le lien concentré par la question : «Que dirai-je à mon enfant ?»

Cette question, toute société et tout peuple se la posent. Mais, écrit Milner, «le nom juif est le seul nom qui ait pu reposer sur la seule quadriplicité.» Or,