L'échec du sommet européen des 12 et 13 décembre était prévisible. Il n'en est pas moins lourd de sens, et de conséquences. Il témoigne, d'abord, de la façon dont l'élargissement a été conçu : précipité, bâclé, obéissant plus aux intérêts des multinationales, des élites dirigeantes des pays de l'Est, qu'à une véritable vision stratégique européenne. Différent des autres élargissements, il fait entrer en Europe, en une seule vague, dix nouveaux Etats, à l'indépendance fraîchement acquise. Ces Etats cherchent prioritairement, à travers l'Europe, leur intégration dans l'économie et le monde libéral. Ils veulent le «marché européen» et l'aide financière qui l'accompagne. Ils ne s'enthousiasment ni pour l'Europe politique, ni pour l'Europe sociale et encore moins pour une Europe européenne, stratégiquement autonome vis-à-vis des Etats-Unis. Ainsi, en même temps qu'un continent européen unifié géographiquement, cet élargissement concrétise, de fait, une Europe stratégiquement et politiquement divisée. La crise irakienne, qui avait inauguré cette «Europe fracturée» (plutôt que réunifiée) a sans doute pesé lourd dans l'échec des pourparlers sur le traité constitutionnel.
Cet échec témoigne aussi d'un refus de l'axe franco-allemand. L'Europe de l'Est ne se reconnaît pas dans l'héritage politique européen depuis un demi-siècle : elle estime, épousant ainsi le point de vue américain, ne rien devoir aux pays fondateurs. De leur côté, en refusant de céder sur le système de vote au Conseil