Quand un Américain critique nos célèbres chefs étoilés, c'est notre orgueil national qui se cabre : «Il attaquait notre pays, notre culture», s'indigne Pierre Gagnaire qui, rompant avec son habituelle discrétion, a aussitôt envoyé une protestation à l'AFP. Venant du pays du fast-food, l'accusateur Arthur Lubow, n'avait plus qu'à boire sa honte dans un gobelet de Coca-Cola. Il s'est fait traiter de francophobe viscéral, de militant sioniste et pour un peu de rustre texan, à l'image de George Bush junior. Une fois apaisée, la passion que suscitent en France les plaisirs de la table, il faut se poser la question : la grande cuisine française telle qu'Antonin Carême, au début du XIXe siècle, la célébrait, est-elle aujourd'hui en déclin ?
Avant d'être un art, la cuisine est un artisanat qui exige de travailler avec ses mains et sans repos. Car la représentation recommence chaque soir, toujours nouvelle, toujours surprenante : «Je ne peux pas faire deux fois la même chose», dit Alain Passard à la suite de Talleyrand qui ne voulait pas lire deux fois dans l'année le même menu à sa table. «La cuisine, c'est d'abord de l'amour, un supplément d'âme», répond Gagnaire en écho. Un chef, c'est un maître dans son atelier avec ses ouvriers. «Le travail partagé, la chaleur, la sueur, la vigilance», ajoute-t-il encore ému par le départ, ce jour-là, de son chef pâtissier : «Me remontent à la mémoire, toutes ces heures de passion. Quand on sort à presque minuit, on est épuisé et comme vidé.»
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