Imaginons que demain, par une sorte de miracle, les élèves des grandes écoles soient exactement à l'image de la société française, que les filles, les enfants d'ouvriers, d'employés, d'immigrés y soient proportionnellement aussi présents qu'ils le sont dans l'ensemble de la société. Cette école serait sans doute beaucoup plus juste qu'elle ne l'est aujourd'hui, le pur mérite des individus serait reconnu, les inégalités sociales neutralisées et l'arbitrage scolaire, parfaitement impartial. Rien ne nous invite à abandonner cet idéal. Mais cette école de rêve serait-elle parfaitement juste ? Elle ne serait meilleure que dans la mesure où les vaincus de cette sélection parfaitement équitable ne seraient pas abandonnés, relégués, humiliés et dépourvus de toutes ressources. Autrement dit, il ne faut pas se poser le problème de la justice scolaire uniquement du point de vue des «vainqueurs», mais aussi de celui des «vaincus», des plus faibles, des plus fragiles et peut-être des moins bons.
C'est là le véritable sens d'une culture commune, celui d'une exigence de justice consistant à garantir aux plus faibles des élèves ce à quoi ils ont droit pour mener une vie personnelle, civique, sociale, acceptable, pour faire que leur scolarité ne ferme pas bien plus de portes qu'elle ne leur en ouvre. Après tout, la majorité d'entre nous pense que le principe du Smic est excellent, même si l'on estime que le Smic est trop faible, parce qu'il fait que le plus mal payé des salariés sera préservé