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Libération
TRIBUNE

Souvenir d'une visite guidée à Struthof

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par Jean-Paul NOZIERE
publié le 7 février 2005 à 0h24

C'était en 1953. J'avais 10 ans. Le camp de déportation de Struthof, en Alsace, que beaucoup de Français l'ignorent encore, était dans l'état exact qui était le sien pendant la guerre. Intact. Ce jour-là, la «visite» était conduite par un ancien déporté du camp, ce qui, me dit-on aujourd'hui (est-ce vrai ?), se faisait rarement. Il y avait des adultes. Un seul autre enfant, mon frère, âgé de 12 ans. Le guide a regardé les présents : «Viens, petit.»

Le petit, c'était moi. Il m'a pris la main. En route pour le périple de l'horreur. Durant toute la «visite», il n'a parlé qu'à moi. Chaque fois qu'un adulte posait une question, il me donnait la réponse, sans regarder l'adulte. Il ne m'a rien épargné. Aucun lieu, ni même aucun mot. Je l'ai suivi dans la chambre à gaz (qui ne se «visite» plus, je crois ? Je mets le mot «visite» entre guillemets tellement il me semble obscène, ici). Puis dans les baraquements, tous encore debout. Devant les potences. Il m'expliqua clairement comment on procédait aux pendaisons. Je le suivis aussi devant le four crématoire, où j'eus droit aux mêmes explications, courtes, sèches, précises, sans pathos. Oui, oui, malgré toutes ces années, je me souviens parfaitement que mon «guide» usait d'une voix sans tonalité, que ses explications s'en tenaient à l'essentiel, qu'il donnait comme autant de coups de gourdin. Je le suivis à un endroit dont je ne garde plus le souvenir, mais où il me confia que des déportés, poussés dans une pente, étaient abattus pour t