Menu
Libération
TRIBUNE

Judéocide et singularité

Article réservé aux abonnés
publié le 22 février 2005 à 0h41

La recrudescence de l'antisémitisme manifeste accroît le sentiment nauséeux de vivre un nouvel épisode de ce que Jean-Michel Chaumont avait, en 1997, opportunément nommé la Concurrence des victimes (1). L'un des aspects de cette concurrence consiste à reprocher aux Juifs de monopoliser le statut de victimes en invoquant, notamment, le caractère incomparable du génocide nazi. Il apparaît, dès lors, malgré la difficulté de mener un travail serein dans l'identitarisme ambiant, éminemment souhaitable d'analyser le génocide des Juifs, non comme un instrument d'occultation, de mise à part, mais comme la matrice de compréhension de la souffrance des autres. Ce projet suppose le refus de l'incommensurabilité comme de l'uniformité.

La thèse faisant du génocide des Juifs un événement unique, incommensurable à tout autre, peut être défendue pour de multiples raisons, mais elle vise le plus souvent à inscrire le destin juif dans l'ordre, non historique, de l'exceptionnel. Bien entendu, du point de vue de l'historien tout événement est unique. S'il s'agissait uniquement de débattre de cette question, l'affaire serait rapidement réglée. En réalité, il y a tout autre chose dans la revendication d'unicité. On peut, avec Michael A. Bernstein, parler d'une «idéologie monothéiste de la catastrophe», formule qui a le mérite d'insister sur le contexte théologique dans lequel s'inscrit cette revendication. Elle donne, dès lors, plus de consistance à l'idée d'une singularité absolue du génocide des