En ce 90e anniversaire du génocide arménien, il ne suffit pas d'accabler la Turquie qui persiste dans le déni du génocide arménien. Il faut aussi comprendre les raisons tenaces de ce déni et les complicités occidentales qui le rendent viable jusqu'à aujourd'hui. La thèse officielle turque repousse l'idée de génocide et avance celle d'une répression effectuée dans un contexte de guerre générale. Elle évoque un projet de réimplantation des Arméniens ottomans de l'Est et non de déportation, après que ces mêmes Arméniens, alliés à l'ennemi héréditaire russe, auraient eux-mêmes tué plus d'un million de musulmans et 100 000 Juifs, pour la plupart des civils. Et pourtant, des massacres d'Arméniens s'étaient produits déjà en 1895-1896 sous le règne du «sultan rouge», Abdulhamid II. Les témoignages et les sources diplomatiques attestant la réalité du génocide sont rejetés par le gouvernement turc et les archives de cette époque ne sont pour le moment accessibles qu'aux chercheurs qu'on ne soupçonne pas de déroger à la propagande turque. L'invocation de tueries de Juifs par les Arméniens, alors que les Juifs sont à cette époque à peine quelques milliers dans la région et que ces tueries ne sont nulle part attestées, vise à mobiliser l'opinion publique juive aux côtés de la Turquie.
Nul ne nie que l'histoire ottomane ait été parcourue de tensions interethniques parfois très fortes, ni que les puissances occidentales aient eu l'habitude d'utiliser les minorités les unes contre les autres