Commencer par essayer de comprendre, puis tenter une explication du phénomène inédit de trois semaines d'émeutes dans les banlieues : c'est ce qu'a proposé Libération à quatre universitaires et essayistes réputés pour l'acuité de leur regard sur les fractures de la société, à l'occasion d'une table ronde organisée le 14 novembre (avant l'intervention télévisée du Président). Jean-Pierre Le Goff, Eric Maurin, Pierre Rosanvallon et Emmanuel Todd se livrent à une confrontation qui s'enrichit de leurs approches plurielles d'une question qui les préoccupe tous : la crise du modèle républicain. Le débat est animé par Eric Aeschimann et Jean-Michel Helvig.
Mouvement politique ou révolte nihiliste ?
Pierre ROSANVALLON.
Il y a trois niveaux de compréhension à articuler. D'abord, la matérialité des événements eux-mêmes (scènes de révolte et de violence), ensuite la situation sociale générale des banlieues, enfin le malaise français. Les événements sont liés aux actions de gens très jeunes, actions très violentes et sans signification en elles-mêmes. Mais on peut se demander si le terme de nihilisme est adapté pour qualifier le mouvement actuel. Celui-ci, à coup sûr, se caractérise par l'absence de parole et provient d'un milieu qui a lui-même du mal à prendre la parole. Les violences remplacent en quelque sorte la prise de parole, à l'inverse de mai 1968. Il n'y a aucune prise de parole, sinon via la chanson et le rap. C'est le monde entier de la banlieue qui, en général, ne prend pas la parole et ceux qui parle