C'était un simple fil de cerf-volant. Obstinément proche de l'horizontale, se refusant à décoller, il tremblait l'été dernier sur une plage des environs de New York. C'était une journée ordinaire, sur une plage ordinaire. Et le fil tendu de ce cerf-volant se promenait de corps de baigneur en corps de baigneuse, frôlant celui-ci, évitant celle-là, semant l'agacement sur toute sa trajectoire. Au bout du fil, s'amusant à tenter de faire décoller son cerf-volant, le benjamin d'une nombreuse et bruyante famille latino. Même agacés par le fil du cerf-volant, les bronzeurs américains ne manifestaient aucune réaction ostensible. Ils se contentaient d'écarter parfois le fil d'un geste sec, et continuaient à bronzer. Pas un mot, pas une récrimination. Ces deux univers n'avaient rien à se dire, rien à partager, pas même des protestations, et encore moins la définition de règles communes. De toute manière, la famille latino ne parlait manifestement pas anglais.
Il disait tout, ce tremblement du fil de cerf-volant. Il disait que tout pouvait basculer, d'un instant à l'autre, s'il venait à effleurer l'épiderme d'un irascible. Incorrigiblement, le chroniqueur en vacances pensait au joli reportage qu'il aurait alors pu écrire. C'est là, sur une plage ordinaire, un jour ordinaire, dans cet espace unique où se côtoient, bien obligées, les communautés qui ailleurs s'ignorent, qu'il fallait être, pour comprendre ce qui se joue dans le secret des crânes, et que parfois les propriétaires eux-mêmes