Bientôt, tout le monde sera journaliste, commentateur, psychologue, sociologue, écrivain et, pourquoi pas, artiste de sa propre vie et de celles des autres. Tout le monde aura sa petite entreprise de communication et d'analyse individuelle de masse, en société à responsabilité plutôt limitée. Chacun est déjà créateur, public et évaluateur critique du spectacle qu'il pense recevoir du monde et donner de lui-même : chacun porte son kit de survie en société. On regarde vivre son regard même dans le dénuement ou le désastre. On n'est pas dupe. On est plein de bonne mauvaise conscience. On est l'un des millions de rois sous divertissement, pas gentils, plutôt frustrés, des rois avec pleins de droits inutiles ; chemin faisant, on continue d'être un homme plein de misères.
Pour comprendre ce qui nous est arrivé, et surtout pour en rire, il est bon de lire les entretiens organisés (plus que subis) par celui qui, dans les années 1960, sous un regard d'une implacable élégance comique, a saisi avec un enthousiasme indifférent l'aube estivale de ce nouveau monde : Andy Warhol. Bien préfacés, tour à tour introduits et annotés avec soin, ces entretiens se déroulent sur vingt-cinq ans. Leur unité de ton et de propos est presque invariable : ils forment bien l'une des faces d'une oeuvre artistique, et donc politique, cohérente. Warhol est là pour révéler la société moderne par sa présence et par ses actes : il donne son image et sa vie à l'expérience. Au passage, il en profite ; pourquoi p