L'infatigable historien de l'Algérie qu'est Benjamin Stora se tourne, cette fois, vers les siens. Né à Constantine dans une vieille famille juive originaire de Khenchela, il se penche sur cette histoire méconnue, peu documentée et presque pas écrite. Sa rigueur érudite ne cède cependant pas à l'effusion, comme c'est très souvent le cas. Mais, du moins, l'émotion, «comme une trace et un hommage» à la mémoire de sa mère, vient-elle étayer cet ouvrage, qui ne pouvait pas être, non plus, de pure science.
Au demeurant, trois photos ponctuent ces «trois exils», qui disent tout. Elles représentent la famille de Benjamin Stora : la première, au début du siècle dernier, où costumes «européens» et vêtements «indigènes» se mêlent ; la deuxième, dans les années 30, affichant l'optimisme de jeunes gens en pique-nique dans les forêts de Constantine ; la dernière illustrant le «rapatriement» de 1962 et l'indicible tristesse de «l'exode». Trois photos pour trois temps : l'ancien monde, l'émancipation et la fin d'une communauté enserrée entre trois exils. Deux exils intérieurs, et le dernier, définitif.
Le premier rappelle le lent mouvement d'assimilation à la France des juifs d'Algérie, sanctionné par le décret Crémieux de 1870 qui leur offre la nationalité française. Le débat, à ce propos et à ce jour, demeure inépuisable : en les détachant de leur statut de dhimmis (de protégés assujettis à l'islam) pour les faire citoyens, la République les agrège tout en les détachant