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Libération
TRIBUNE

La haine de 68

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par Daniel Bensaïd et Alain Krivine
publié le 3 mai 2007 à 7h33

«Dans cette élection, il s'agit de savoir si l'héritage de Mai 68 doit être perpétué ou s'il doit être liquidé une fois pour toutes. Je veux tourner la page de Mai 68.» Il a donc fallu attendre la dernière semaine de campagne pour apprendre de la bouche de Sarkozy le véritable enjeu de cette élection. En finir avec l'esprit et l'héritage de Mai 68, ce pelé, ce galeux d'où nous vient tout le mal, responsable de toutes les décadences françaises. La voilà enfin, la rupture, mais moins «tranquille» qu'elle n'était annoncée.

S'il s'agit d'en finir avec l'espérance de Mai, il y a bien longtemps que, de commémorations en oraisons funèbres, de Mitterrand en Cohn-Bendit, d'autres s'en sont chargés. Narcissisme générationnel aidant, les cérémonies du 20e anniversaire, en 1988, furent déjà une sorte d'enterrement spectaculaire préfigurant les festivités funèbres du bicentenaire. De 68 il ne restait déjà plus, dans la mémoire de certains acteurs, qu'un grand monôme étudiant, un gigantesque libertinage et une entrée tardive dans la modernité hédoniste. Toutes choses qui se sont produites dans nos sociétés de marché occidentales sans qu'il fût besoin pour cela de la grève générale la plus massive et la plus longue de l'histoire.

L'héritage n'est pas un bien que l'on possède et que l'on garde. Mais quelque chose que les héritiers se disputent, et ce qu'ils en font. Il y a leur Mai et le nôtre. Celui de la légende dorée du style «heureux, riches et célèbres» ou «amour, gloire et beauté