Te voilà parti, frère. Dans quel Paradis es-tu à présent ? Juif ? Chrétien ? Sont-ils si différents ? Tu me manqueras. Tu étais l'un des rares avec qui je pouvais encore échanger quelques mots en yiddish, langue de nos parents âgés. Ceux de leur génération n'étant plus là et ceux de la suivante ne la comprenant pas, le yiddish devint le signe extérieur de notre complicité. Cela t'amusait, lors des réceptions officielles, d'échanger quelques mots avec moi dans cette langue comme pour montrer que nous étions, toi catholique et moi juif, les mêmes, les «passeurs» dont parlait Paul Ricoeur, entre l'Ancien et le Nouveau Testament. Mais en réalité tu n'avais besoin de personne pour tenir ce rôle. Tu l'incarnais à toi tout seul. Tu voulais pourtant que les «autres» comprennent l'enjeu et qu'ils le méditent. Je me souviens de cette réception au château de Versailles à l'invitation de François Mitterrand en l'honneur de Boris Eltsine, président de la Russie. Tu portais la calotte pourpre de cardinal. En m'apercevant tu t'es frayé un passage vers moi et, devant les deux dirigeants stupéfaits, tu m'as demandé en yiddish : «Comment trouves-tu ma kippa aujourd'hui ?» Nous fûmes obligés de traduire ta question en français et en russe et les deux présidents durent admettre que la calotte d'un cardinal et celle d'un rabbin avaient même forme et même signification.
Tu rêvais, frère, d'une église qui aurait vu le jour lors du premier synode, celui de Jérusalem, réuni par Jacques, le «