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Tanzanie

Le volcan blanc des Massaïs

Une saison à la montagnedossier
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Le Lengaï est le seul cratère au monde à cracher une lave blanche. Ascension en pleine éruption, et rencontre au sommet avec le dieu des tribus massaïs.
(Giam)
publié le 30 janvier 2008 à 6h00
(mis à jour le 19 janvier 2016 à 10h35)

Par milliers, ils teintent de fuchsia les eaux argentées du lac Natron. Les flamants roses qui piquent leur bec recourbé dans la vase à la recherche d’une algue rouge n’ont pas déserté l’étendue saumâtre. Pourtant, à quelques centaines de mètres, le mont Lengaï est en éruption. Depuis fin juillet, le cône de 2878 mètres est secoué par une série de séismes qui ont plongé la vallée du Rift africain dans le chaos. Le tremblement de terre a été ressenti dans cette zone du Nord de la Tanzanie, jusqu’aux pays voisins du Kenya et de l’Ouganda.

Le crâne rasé propre aux Massaïs, parée de bijoux en perles, le lobe des oreilles percé d’un trou large comme une pièce de dix shillings, Ndepesi est encore sous le choc. «Les zébus meuglaient, les bébés pleuraient, le sol bougeait. On a dormi dehors sur la place du village», raconte-t-elle, accroupie devant sa hutte.

La montagne du dieu

Avec sa tribu, Ndepesi habite au pied du volcan, autour duquel paissent des troupeaux de chèvres. «Les blocs de pierre tombaient de partout», détaille Yomma, en montrant les escarpements du Rift qui surplombent la savane. Les femmes se sont regroupées pour prier. En Massaï, Ol Doinyo Lengaï signifie «la montagne du dieu Engaï». Un mois auparavant, les hommes avaient abandonné un cabri à mi-pente du volcan en guise d’offrande, rappelle un guerrier armé de sa lance et couvert de la traditionnelle cape rouge. Peine perdue. Le Lengaï a rugi.

Rien d’exceptionnel, finalement. Le volcan est particulièrement actif, même si les coulées de lave débordent rarement du cratère. En 1999 et 2006, elles avaient ruisselé jusqu’au lac Natron et menacé les villages massaïs. Rien de tel cette fois. Le gouvernement tanzanien a cependant interdit de s’approcher à moins de 50 km de la zone.

David Pérez se trouvait pile dans le cratère au moment des premiers séismes et de la sortie du magma. «Des failles se sont ouvertes devant nos yeux et la lave a jailli. Incroyable!», témoigne ce touriste brésilien. Les répliques des jours suivants ont été plus fortes encore, incitant cette fois à davantage de prudence. A 400 mètres du sommet, Michel Du Peloux et ses compagnons ont préféré rebrousser chemin: «Trop dangereux ». L’enseignant réunionnais repart tout de même avec un souvenir de taille: l’ascension d’un autre volcan, éteint celui-ci, le Kilimandjaro. Le toit de l’Afrique culmine à 5892 m, surplombant Arusha.

Bout du monde africain

C’est de cette ville que débute le périple pour le Lengaï, 160 km plus à l’ouest. Chaque année, environ 7000 touristes escaladent le volcan des Massaïs. C’est peu, vu le caractère exceptionnel du site; ce n’est pas mal, pour ce bout du monde africain. Après deux heures de route bitumée, il faut en effet compter trois heures de piste éprouvante. Le 4x4 est indispensable pour surfer sur la tôle ondulée et avaler le lit de sable et de poussière. Les fines particules se déposent sur les baobabs qui bordent la piste, blanchissent la peau des gamins qui chargent en eau leur âne, encrassent le nez et la gorge des voyageurs. Des tornades de poussière montent droit au ciel, parallèles au cou des girafes qui s’enfuient à notre approche.

Des volcans éteints et des cratères émoussés transpercent la brousse. Puis un cône parfait émerge de la brume de chaleur: le Lengaï, contourné par l’ouest, pour aboutir au camp de base de Ngarasero, tenu par des Massaïs. Là, rinçage sous une cascade digne de Tahiti douche, puis repos sous la tente.

A 23 heures, c’est le départ du trek. Face à nous, 1900 mètres de dénivelé et une pente à 45 degrés qui tremble encore. Moody, 26 ans, nous guide, taciturne et lent: «Mole Mole»... On remonte une ancienne coulée d’un mètre de largeur seulement; l’eau y a creusé un défilé dans lequel on se glisse jusqu’au bassin. Dans le goulet s’engouffrent des bouffées de souffre.

La demi-lune double les ombres de la lampe frontale. La silhouette noire du sommet se détache sur le ciel étoilé. Mortier granuleux, plâtre blanchâtre, pierrier glissant... le sol inégal conduit à une gorge verticale; il faut s’aider des mains. D’incongrus fumets de cardamome et de cannelle se mêlent aux odeurs d’œuf pourri.

Neige minérale

A 4 heures du matin, le sommet est atteint, le volcan entrouvre son antre, effroyablement bruyant. L’écho d’un ressac profond, le vacarme de vagues en furie traverse le cratère. Pour se protéger des vents, on s’allonge à même le sol, qui frôle les 35 °C. Des fumerolles jaillissent d’innombrables trous et terriers. Le soleil dévoile enfin l’unicité du dieu Engaï: un cratère blanc comme neige! Lindsay McHenry, une volcanologue américaine, prélève avec précaution des échantillons de cette lave unique au monde.

Alors que tous les volcans de la planète crachent des laves siliceuses, le Lengaï émet des carbonatites riches en sodium et potassium. Ces deux minerais réagissent au contact de l’atmosphère: en quelques heures, la lave devient grise puis blanche. Magique. L’arène de 400 m de diamètre évoque une gigantesque meringue. Les anciennes coulées se chevauchent dans toutes les nuances d’albâtre. On marche avec précaution sur des draps froissés, des morceaux de nougat, un gratin de chou-fleur, des dalles fissurées...

Une explosion rappelle soudain le sens des couleurs. Surgissant de cette neige minérale, dix gueules noires toussent, éructent, crachent gaz, vapeur et fumée. Au centre, trône une termitière géante de 70 m de haut. Accolé à ce chapeau de fée cabossé, un cône évasé projette des grumeaux de lave noire. Le sang d’Engaï n’est pas rouge! Avant de blanchir, il est noir, noir et visqueux comme du pétrole, de l’huile de vidange, du chocolat fondu.

Le berceau de l’humanité

Gare à l’imprudent qui prend la gangue sombre pour de la lave refroidie. «En 2004, un géologue allemand que je guidais s’est brûlé jusqu’au mollet par inadvertance», se souvient Moody. Alvaro Tamayo s’approche d’une coulée de lave en grattons. L’avancée craque, gémit et pousse, centimètre après centimètre, ses rocs écorchent les semelles des chaussures. La terre en fusion se raconte, l’histoire se fabrique devant les yeux de l’Espagnol, étudiant en archéologie.

Le Lengaï est une page vivante du livre qu’a ouvert il y a 30 millions d’années la fracture du Rift. Ce fossé d’effondrement déchire l’Afrique de l’Est depuis la mer Rouge, livrant aux chercheurs des couches sédimentaires enfouies ailleurs à des profondeurs inaccessibles. Au pied du volcan, dans les gorges d’Olduvaï, de nombreux fossiles d’hominidés sont chaque année découverts.

Dans ce berceau de l’humanité pointent deux autres volcans remarquables: l’Empakai, dans lequel brille un lac émeraude, et le N’Gorongoro, inscrit au patrimoine mondial de l’humanité: un monde circulaire où vivent en autarcie gazelles, lions, hippopotames, gnous, zèbres...