Quand le dixième bélier s’écroule en râlant, vidé de son sang par la trachée-artère, on est presque habitué. Deux ou trois verres de tord-boyaux adoucis par quelques pintes de bière cul sec, et on se laisse même aller à mastiquer un bout de rognon cru ou à avaler un peu de graisse tiède. «C’est pour la force», assure Dato Tchintcharaouli, 27 ans, et fils du chef du village. A voir ce jeune professeur de sport, tout en muscles, on est tenté de le croire. En cette belle journée d’été, il est occupé à sacrifier les béliers à la chaîne - un honneur lors de l’Athenguénoba, la fête la plus importante de l’année pour les Khevsours.
Interminable hiver
Petit peuple de guerriers montagnards, ces Géorgiens qu’on dit descendants des Croisés du Moyen Age, se sont taillés au fil des siècles et de l’épée une solide réputation de durs à cuire. Longtemps, ils ont vécu isolés derrière leurs cols sous la tutelle nominale du roi de Géorgie, ferraillant de temps à autre avec les peuplades environnantes. Cela ne fait que quelques décennies que les locaux ont tombé la cotte de mailles pour adopter, comme Dato Tchintcharaouli, le survêtement. Et même s’ils se disent chrétiens comme le reste des Géorgiens, ils conservent un culte très largement imprégné de paganisme qu’ils partagent avec leurs voisins tchétchènes et ingouches, islamisés pour leur part à partir du XVIIe siècle. Aujourd’hui encore, après avoir quitté leurs forteresses de pierre pour des chalets moins rustiques, les Khe