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Libération
livre

Les notes justes de l'Opéra alpin

Sortie du premier livre de Gérard Guerrier, dont nous publions en avant-première les bonnes feuilles.
(Gérard Guerrier)
publié le 7 janvier 2015 à 9h19

«J’ai eu un soir la vision de mon fils emporté par un torrent en Sibérie… Pas un rêve, une vraie vision. Le lendemain, il m’a appelé pour me dire, qu’en effet il était coincé par les intempéries sur une petite île, qu’il n’avait plus de vivres, qu’il fallait qu’il traverse le fleuve en crue… Et puis l’appel a coupé et nous n’avons plus eu de nouvelles pendant dix jours…»

C'est cette histoire extraordinaire qui traverse et déchire le récit de L'Opéra alpin, premier livre de Gérard Guerrier, grand voyageur et ancien patron de l'agence de trek Allibert.

Au départ, il n’était pourtant question que d’une randonnée estivale de trois semaines dans les Alpes avec sa femme; une balade hors des sentiers battus entre ligne de crêtes, cabanes de bergers et sentiers de vertige. Une itinérance qui se voulait sereine, l’occasion d’une paisible réflexion sur la marche, la musique et la nature.

Bref, des vacances tranquilles pour ce quinquagénaire passionné de marche, peut-être un peu plus sportives que la moyenne, mais avec nuitées à l’hôtel, pâtisserie bavaroise sur la table et portable dans la sacoche. Et puis ce coup de fil. La mort possible. Les souvenirs de l’enfance et de la famille qui remontent et débordent; l’angoisse qui s’immisce dans l’aventure et le couple…

«La vision est bien réelle, confirme en souriant Gérard Guerrier, rencontré cet hiver dans un café parisien. Mais aujourd'hui je me rends compte que j'ai mêlé deux histoires. Celle de cet été et une autre arrivée il y a une dizaine d'années lors d'un des premiers treks de Mischa, déjà au fin fond de la taïga sibérienne. Il avait tout juste 19 ans. A l'époque, je lui avais dit que, s'il devait y avoir un danger dans ces régions, ce ne serait lors des traversées des rivières en crue. Et, de fait, il avait failli se noyer et était resté bloqué cinq jours…» Une aventure enfouie qui avait dû marquer ce père, pourtant habitué aux raids de ses deux garçons, amoureux comme lui de nature et d'expéditions lointaines.

Dans un premier temps, pour préserver sa femme, Gérard lui cache son rêve «prémonitoire». Il tente de se rassurer, contacte des guides en Sibérie pour glaner des nouvelles, guette les messages, se renseigne sur la météo (exécrable)… Et continue sa marche à travers vallées et cols alpins. Une agitation vaine et un sentiment d'impuissance qui ne font que grandir à mesure que le temps passe, que le portable de son fils sonne toujours dans le vide, que les réponses de ses correspondants russes se font plus évasives…

Comment gérer le pire? Quelle responsabilité assumer dans les choix de vie de ses enfants? Que dire à son épouse qui ne comprend pas cette nervosité et s'inquiète à son tour? «L'inconscient fonctionne assez vite dans ces cas. Je passais par tous les états. J'ai même visualisé son enterrement… Puis la vie reprenait le dessus. Je me retrouvais, tranquille à marcher sous le soleil, Jusqu'à ce que les images morbides reviennent.» 

«C'est vraiment une expérience qui vous mine, poursuit Gérard Guerrier. D'autant que lorsque l'on marche, on a le temps de penser! Ce n'est pas pour rien qu'il y a autant d'écrivains ou de philosophes marcheurs…»

On ne dévoilera pas la fin de l’histoire. On insistera en revanche sur la beau style, sur la culture de l’auteur, et sur ces mille détails de la randonnée dans lesquels se retrouveront tous ceux qui aiment la montagne (1).

Grand marcheur, amoureux d’étendues vierges, Gérard Guerrier, qui vient de quitter la société qu’il gérait depuis près de dix ans, a de toute évidence du côté de l'écriture de nouvelles voies à parcourir.

(1) Gérard Guerrier a filmé cette longue randonnée. Le documentaire a été présenté cet automne au Grand Bivouac d'Albertville et devrait continuer à tourner dans les festivals.