Lorsque le printemps s’annonce, l’amateur de ski de randonnée n’a plus qu’une obsession en tête : partir pour plusieurs jours d’itinérance en haute altitude, pour ce qu’on appelle un raid à ski. La période courant de la mi-mars à la fin mai est propice à ces longues sorties, itinérances de refuge en refuge qui sont justement gardés en cette période pour les skieurs-alpinistes. Les journées s’allongent, en haute altitude le froid se fait moins mordant et surtout le manteau neigeux est alors théoriquement stable et homogène, les crevasses sur les glaciers bien bouchées par la succession des chutes hivernales.
Le Tour de la Meije, dans le massif des Ecrins, fait partie des itinéraires légendaires que tout skieur-alpiniste convoite un jour ou l’autre, à l’instar du Chamonix-Zermatt. L’aura de la Meije, sommet phare du nord des Ecrins culminant à 3983 me, n’y est pas pour rien. Au-delà, les différentes variantes de ce raid permettent toute une immersion magique dans un massif sauvage, au caractère très alpin et technique, protégé de toute nuisance sonore et de tout équipement mécanique par son statut de Parc national.
Une nuit au refuge
Au printemps 2014, dans les tout premiers jours de mai, les conditions pour le Tour de la Meije étaient encore parfaites. Nous avions choisi un itinéraire «direct» de deux jours et demi, longeant au plus près les fondations de la «Reine Meije», selon l’un de ses surnoms. Départ à ma mi-journée de Grenoble, le premier jour, pour rallier par la route le pied du col du Lautaret et monter, skis sur le sac puis aux pieds, au refuge de l’Alpe. Une entrée en matière en douceur, deux heures à peine de marche, histoire de mettre la machine en route ! Passer une nuit au refuge de l’Alpe, à 2077 mètres d’altitude seulement, permet aussi de s’acclimater tranquillement.
La seconde journée, démarrée avant même le lever du jour, est une longue et superbe remontée au cœur de l’une de ces hautes vallées vertigineuses propres aux Ecrins, en totale solitude sous des faces aux dimensions quasi himalayennes. Très vite les alpages sont invisibles. On remonte, peaux de phoques sous les skis, dans un monde minéral, aux bleus, noirs et blancs métalliques dans l’éclat d’un soleil brutal. L’horizon n’est que murs et faces de roc, de glace et de neige : derrière nous la face nord de la Grande Ruine, un kilomètre de verticalité vitrifiée par le gel, et au dessus les murs au rocher brun, sec et souvent surplombant des faces sud du Pic Gaspard et du Pavé. Nous traçons dans une couche de plus en plus épaisse de neige. Les 100 derniers mètres sous le col du Pavé, point culminant du jour à 3554 me, sont si raides qu’il faut porter les skis sur le sac et progresser droit dans la pente.
Derrière, c’est la première descente sur glacier, courte mais intense, pour rallier le refuge du Promontoire, littéralement accroché en plein vide sur le socle rocheux de la face sud de la Meije. Etape incontournable et inoubliable, tant par l’ambiance unique de ce refuge que par la personnalité des hôtes. Fredi Meignan, gardien avec sa compagne Nathalie de ce refuge d’exception, est une figure de l’Alpe, président passionné et infatigable de l’ONG écolo et montagnarde Mountain Wilderness.
Versant sauvage
Le troisième et denier jour offre une progression (très) technique, soutenue et de toute beauté : remontée ski sur le sac de la Brèche de la Meije, d’où l’on bascule par une désescalade facile, parfois par un rappel, sur le versant nord sauvage de la Meije. En louvoyant entre les crevasses, encordés tant à ski que crampons aux pieds selon les passages, on traverse à l’horizontal tout le versant, au pied de la formidable muraille nord de la Meije, suspendus deux mille mètres au-dessus de la vallée de la Romanche et de la Grave.
Encore un col très raide à remonter en crampons, le Serret du Savon, et bientôt, après un passage au pied de l’emblématique refuge de l’Aigle qui vient d’être entièrement reconstruit, nous changeons de nouveau de versant et d’orientation pour nous engager sur le glacier de l’Homme. C’est l’une des descentes mythiques du raid, 1700 mètres de dénivelé de ski sur un glacier torturé et majestueux, au pied d’un autre monument, la face nord du Pic Gaspard.
Quelques virages encore sur les ultimes névés, dans une neige lourde et humide ; le raid touche à sa fin. Le retour au monde d’en bas, après un raid, est une renaissance sensuelle dont on ne se lasse jamais. Après des jours de minéralité, de neige, de silence et de gel, nous retrouvons le vert tendre, les premières fleurs et les odeurs de terre de l’alpage en plein réveil. Dans le grondement puissant d’un torrent gonflé par la fonte des neiges, nous offrons nos peaux nues au soleil printanier…
Infos et encadrement. Le tour de la Meije ne peut être envisagé sans guide de haute montagne si vous n'êtes pas skieur alpiniste averti, entraîné et parfaitement équipés (ski et progression complexe sur glacier, passages d'alpinisme).
Contactez les agences (Expés.com, Visages, Azimut, Odyssée Montagne, etc.) ou le bureau des guides de la Grave-La Meije (04 76 79 90 21). De fin mars à début mai. Prix variables selon l'itinéraire, l'organisme, la taille du groupe, dès 600 euros.