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Pyrénées, le temps suspendu

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Randonner dans les canyons du parc national d’Ordesa s’apparente à un étrange voyage dans le temps.
(Photos: Guillaume Bavière / Flickr)
publié le 17 mars 2016 à 18h11
(mis à jour le 19 mai 2016 à 17h24)

Ce n’est pas un hasard si des ermites choisirent de se retirer dans les massifs pyrénéens du Haut-Aragon pendant le Moyen Age. Dans ses vallées isolées, ses canyons profonds et secrets, ils ne trouvèrent guère de monde en dehors de quelques bergers et de leurs troupeaux, pour troubler leur retraite. Plutôt un silence abyssal et la seule compagnie des vautours. La cime la plus élevée de la région, massive pyramide calcaire arrimée à 3 355 mètres sur les crêtes blanchâtres, a longtemps semblé éloignée de tout. On la baptisa mont Perdu. Contrebandiers et maquisards se planquèrent dans ces espaces de solitude. Aujourd’hui, les randonneurs peuvent marcher sur leurs traces, sur des sentiers peu fréquentés, perchés sur les sommets et leurs estives ou au fond des canyons du parc national d’Ordesa. Itinéraire montagnard et minéral en quatre étapes.

Le canyon d’Añisclo

Ici, la montagne semble avoir été coupée en deux par une main divine. Une entaille d’une dizaine de kilomètres sépare deux rives de pierre. Des falaises hautes de mille mètres descendent en cascade vers les profondeurs. Notre randonnée dans le parc national d’Ordesa et du Mont-Perdu débute ici, au canyon d’Añisclo, creusé par la rivière Bellós. Un sentier s’enfonce dans ces entrailles de la nature parmi du buis à foison, des hêtres tentaculaires et des pins sylvestres. Des gypaètes barbus et surtout des vautours fauves effectuent des rondes dans le ciel. Au Mondotó, un sommet de 1 957 mètres en surplomb du canyon, on peut les observer nicher dans les rochers. Le sifflement de leur vol coupe l’air. Leur envergure, jusqu’à 2,8 mètres pour le vautour, est magistrale.

Les maisons de pierre

C'est la même histoire dans la plupart des villages de la vallée de Vió, en lisière du parc national. Une église, un clocher, des maisons de pierre, un cimetière, parfois des greniers à grain. Des hameaux esseulés, longtemps accessibles par une piste ou un sentier seulement. «Jusqu'en 1986, il fallait parcourir un kilomètre et 200 mètres de dénivelé pour aller chercher de l'eau à la fontaine. L'électricité, on ne l'a eue qu'en 1989 !» se souvient Antonio Nerin Viñuales, natif du village de Buerba. Les familles vivaient de la culture en terrasses, de blé, de seigle et d'avoine, et de l'élevage de brebis.

Les villages se dépeuplent avec l’exode rural des années 1950. Aujourd’hui, seule une poignée de personnes, jeunes épris de nature ou vieux montagnards indéracinables, y vivent à l’année. Les plus âgés se souviennent des maquisards qui trouvèrent refuge dans ces reliefs isolés, pendant la guerre d’Espagne. A l’est du parc, dans le village de Bielsa, blotti derrière d’étroites gorges, les républicains opposèrent une résistance héroïque de deux mois aux troupes de Franco.

Le Mont Perdu

Au nord du village de Nerín, un des villages de la vallée de Vió perché à 1 250 mètres, un sentier grimpe à travers les coussins de genêts épineux. Il est déconseillé de s’y asseoir à moins d’aimer la caresse que peut procurer un lit d’oursins. Plus haut, au col d’Arenas, des sons de petites cloches accueillent les marcheurs. Des vaches les dévorent des yeux. Des dizaines de bovidés paissent paisiblement dans une estive d’herbacées dorées, un haut plateau aux faux airs de Mongolie. On avance en terrain miné, parmi leschardons et les bouses malodorantes.

A l’horizon, surgit le massif calcaire des «trois sœurs» : le cylindre du Marboré (3327 mètres), le fameux mont Perdu (3 355 mètres) et le pic d’Añisclo (3 254 mètres). Quelques heures de marche sur les anciens sentiers de contrebande et l’on atteint les contreforts du mont Perdu pour y passer la nuit. Là, oubliez l’image du refuge isolé. Avec 80 couchages et presque trois fois plus de tentes dispersées autour, Góriz s’apparente plus à un camping d’altitude qu’à un ermitage. La fréquentation surprend après nos rares rencontres… C’est de ce «camp de base» que part le sentier pour gravir le mont Perdu, le temps d’une longue matinée.

Le canyon d’Ordesa et la brèche de Roland

Onze kilomètres de long, trois kilomètres de large, 1 300 mètres de hauteur : Ordesa est l’un des plus grands canyons d’Europe. Un site grandiose où les falaises dressent des à-pic vertigineux, dessinent de monumentales façades de pierre ou s’arrondissent en cirques zébrés de cascades. Au fond de l’étroite vallée, la rivière Arazas scénarise elle aussi sa descente, avec des chutes d’eau en paliers.

On évitera l’itinéraire, très emprunté, du fond du canyon pour explorer une des nombreuses vires, ces étroites terrasses à flanc de paroi. Piquée de framboisiers et parfumée par les aiguilles de pin, celle de Pelay distille une atmosphère bucolique sur la face sud du canyon. En face, la brèche de Roland strie la crête avec la précision d’un couteau crénelant un château de sable. Elle ouvre un passage vers la France.

Les légendes foisonnent à son sujet. Sarah Modolo, notre guide, a sa version. «Roland, à la tête de l'armée de Charlemagne mise en pièce par les sarrasins en Espagne, est contraint de battre en retraite à travers les Pyrénées. Poursuivi, il sonne le cor pour appeler à l'aide, au col de Roncevaux. En vain. Pour éviter que son épée, Durandal, ne tombe entre les mains ennemies, il la lance le plus loin possible. C'est ainsi qu'elle a fendu la montagne et créé la brèche.» Une fable que n'auraient pas reniée les ermites du Haut-Aragon.

Reportage réalisé avec le concours de Terres d'Aventure. Infos pratiques ci-dessous..

Pratique

Le parc national d’Ordesa et du Mont Perdu constitue le pendant espagnol du parc national des Pyrénées situé en France. Il occupe 15 608 hectares au nord de la province d’Aragon, le long et en retrait de la frontière. Depuis la France, on y accède en voiture par la vallée de Saint Lary puis le tunnel de Bielsa, dans le département des Hautes-Pyrénées.

Y aller Terres d'Aventure organise une randonnée accompagnée de 7j/6n dans le parc national, avec hébergement en gîtes et refuge : « Cirques et canyons du mont Perdu ». Compter 6h de marche quotidienne (sans les pauses) et quelques dénivelés positifs d'environ 1000 mètres. Voyage programmé entre fin mai et fin septembre 2016, à partir de 630€ TTC, hors transport. Départ depuis St Gaudens en France. En savoir plus : www.terdav.com

Y dormir Chambre d'hôtes Casa Lisa, dans le village de Buerba. Une adresse chaleureuse et sans chichis, dans une maison de pierre vieille de 500 ans. Compter une quarantaine d'euros pour une chambre double. www.casalina.info

A voir Le centre des visiteurs du parc national d'Ordesa et du Mont Perdu, situé dans le village de Torla, programme des films pédagogiques, en français, pour comprendre la formation géologique des spectaculaires canyons arpentés pendant la journée. Brève présentation du peuplement et de l'exploration des Pyrénées.

A lire Pyrénées aragonaises, montagne des hommes. Etienne Follet et Santiago Mendieta, aux éditions Glénat.