Pour être un Basque authentique, il faut dit-on, trois conditions: porter un nom du pays, parler la langue et avoir un oncle en Amérique. Au-delà du puissant sentiment communautaire cimenté par l’euskara, cette langue agglutinante aux origines mystérieuses, il y a une histoire marquée par le besoin irrépressible d’aller voir ailleurs et tenter sa chance, au-delà des mers, au-delà de l’horizon.
Chaque famille basque a son émigré. C'est un pays où malgré les imprécations du Code civil, le droit d'aînesse a longtemps survécu et ne laissait guère d'opportunités aux cadets. Durant tout le XIXe siècle, les jeunes Basques s'embarquent le balluchon sur l'épaule et l'espoir en bandoulière pour l'Amérique du Sud, notamment le Chili, ou bien les Etats-Unis. Pour beaucoup, c'est un aller simple. Mais certains reviendront fortune faite, et se feront construire de grandes et belles bâtisses pour afficher leur réussite.
En sortant de Bidarray, on ne peut manquer de remarquer quelques etchea, ces maisons spacieuses au toit délicieusement dissymétrique et aux colombages rouge sang de bœuf typiques de la province du Labourd. Mais ici, c'est la Basse-Navarre et des façades animées de grès rose et de galeries de bois se chargent de nous le rappeler. Comme dans la plupart des communes basques, un étonnant parfum de netteté proprette et endimanchée flotte dans les rues et les jardins. Un chemin de terre prend son congé du village et s'attaque à la montagne sous le maigre couvert d'un bois de châtaigniers et de chênes pédonculés. «A l'automne, on conduit les brebis vides, celles qui n'ont pas encore de petits, dans ces bois intermédiaires pour qu'elles se nourrissent de glands et de châtaignes», explique Daniel Hargain, notre guide de la journée, lui-même propriétaire de 400 brebis dans le sud de Bidarray. Le fromage Ossau Iraty est la grande affaire des éleveurs de la région. Le patronyme de l'unique AOC fromagère des Pyrénées a été choisi de façon fort diplomatique pour satisfaire à la fois Basques et Béarnais.
Alors que les arbres se dispersent progressivement et abandonnent le terrain à un épais tapis de fougères, Daniel contemple le paysage et se désole. «Avant, on coupait les fougères pour en faire de la litière. Ça faisait de jolies petites meules disséminées un peu partout. Mais aujourd'hui, la main d'oeuvre se fait rare et on n'a plus le temps de faire. Du coup, la montagne est sale...»

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