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BONNES FEUILLES

Les vers tueurs du Saint-Gothard

Saignés à blanc par des vers intestinaux, des centaines de mineurs moururent lors de la construction du second tunnel ferroviaire des Alpes à la fin du XIXe siècle. Les conditions effroyables de chaleur, d’humidité et de promiscuité expliquent la prolifération de ces parasites tropicaux.

Promiscuité, chaleur (45° etprès de 100 % d’humidité) et mauvaises conditions d’hygiène et de nutrition expliquent que l’ankylostomiase se soit répandue aussi largement chez les mineurs du Saint-Gothard au XIXe siècle. (Collection Pierre-Louis Roy)
Par
Anne-Marie Moulin
(pour la revue L'Alpe)
Publié le 08/06/2016 à 9h13, mis à jour le 08/06/2016 à 21h30

En fouinant sur Internet, un esprit curieux peut retrouver la trace d'une étonnante épidémie survenue pendant les travaux de percement du tunnel du Saint-Gothard (1872-1882). Il y aurait eu des milliers de morts... Toujours est-il qu'en 1904, l'épidémie était encore suffisamment présente dans les mémoires pour que le célèbre anarchiste russe Kropotkine y fasse allusion dans sa Lettre aux jeunes gens: «Vous étudiez les progrès industriels récents! La couturière n'a rien, absolument rien gagné, à la découverte de la machine à coudre; l'ouvrier du Gothard meurt d'ankylostomasie (sic) en dépit des perforatrices à couronne de diamant.»

Au début de la construction du tunnel, cette grande percée entre la Suisse et l’Italie, une épidémie commence en effet à frapper les mineurs. Le médecin préposé aux accidents du travail voit défiler des hommes pâles et bouffis, qui se plaignent de vertiges et de palpitations. Lors du premier décès, l’autopsie révèle dans l’intestin du malheureux des centaines de vers accrochés à la paroi, véritables sangsues internes. L’homme est mort d’avoir été littéralement vidé de son sang.

Cette maladie n’est alors pas inconnue. Elle a été décrite en 1841 par un médecin italien, Dubini, chez une paysanne de la plaine du Pô. Le ver doit son nom, Ankylostoma duodenalis, à sa bouche crochue (du grec agkulon, crochet et stoma, bouche). Il vit en couple dans l’intestin où il se fixe à la paroi par un suçoir, complété par des crochets et des dents en forme de scie, qui incisent la muqueuse tout en sécrétant un venin qui empêche la coagulation et prolonge ainsi l’hémorragie. La femelle pond sans relâche des œufs qui passent dans les selles, où ils se développent avant d’éclore pour donner naissance à des larves qui s’enfoncent dans le sol.

Affection chronique, l’ankylostomiase est considérée à cette époque comme une maladie professionnelle des mineurs et des briquetiers, car la survie dans le sol des larves infestantes exige des conditions de chaleur et d’humidité qui, en dehors des zones tropicales, n’existent en principe qu’au fond des mines. (…)

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dans le numéro 29 de la revue trimestrielle L’Alpe, publiée par les éditions Glénat et le Musée dauphinois (100 pages. 18 euros, en vente en librairies, par abonnement et sur la boutique en ligne). Un numéro dont

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Anne-Marie Moulin

est médecin et philosophe des sciences, elle est directeur de recherche au CNRS, en poste au Caire, en Égypte.