
Le 15 mai, Sophie Lavaud a soufflé ses bougies d’anniversaire sur les pentes du Makalu (8481 m), le cinquième plus haut sommet du monde. Son cinquième sommet de plus de 8000 mètres aussi.
Dans trois jours, elle s’envolera pour le Pakistan tenter de gravir le K2. Un gros morceau à la réputation réfrigérante.
Son sixième 8000.
Trois jours pour embrasser parents et amis, régler quelques démarches administratives, récupérer le visa et boucler un nouveau sac d’altitude (l’autre est encore quelque part au Népal).
Entrée comme par effraction dans le petit milieu des himalayistes de très haute altitude, elle ne tient ni le discours de la performance, ni celui de la dramatisation héroïque.
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C'est après un challenge amical qu'elle gravit le mont Blanc (4810 m) en 2004. Skieuse et montagnarde depuis l'enfance, elle n'avait jusqu'alors développée aucune obsession particulière pour l'altitude. Juste le goût de la nature et des décors alpins. S'enchaînent alors les voyages dans les hautes contrées d'Amérique du Sud et d'Afrique puis elle découvre avec émerveillement le Ladakh et et le Népal. Treks et sommets «faciles» s'enchaînent à plaisir (1). Puis vient, entre deux élans et avec trois sous de côté, l'opportunité de se tester en très haute altitude? Recherche sur le web. Des guides de haute montagne organisent des expéditions sur les plus hauts sommets de la terre. «Est-ce ma place? Oserais-je?» La littérature himalayenne est peu amène pour les humbles.
Rencontres, questionnaires, dossier d’inscription. Admission. Sa liste de sommets déjà gravis est plus crédible qu’elle ne l’imagine.
En ce printemps 2012, elle réussit non seulement son premier 8000 (le Shishapangma, 8013 m), mais elle trouve la motivation de s’offrir un second (le Cho Oyu, 8201 m) à peine 10 jours plus tard. Joli doublé pour une première incursion. Humble, mais motivée.
Sophie raconte le vaste plateau sommital du ChoOyu: «On ne sait avoir atteint le sommet qu'au moment où émerge le sommet de l'Everest à l'horizon.» Nima, le Sherpa qui l'accompagne, sort la radio et communique avec ses collègues qui parviennent simultanément sur le Toit du Monde. Implant psychologique.
Le 25 mai 2014 Sophie est au sommet de l’Everest (2) après avoir gravi l’arête nord versant tibétain. Humble, mais efficace.
Au printemps 2015, la terre tremble au Népal. Terriblement. Dix milles morts. Des villages entiers rayés de la carte. Des milliers de bâtiments détruits, les routes endommagées, les chemins dévastés. Pourquoi le sort s’acharne-t-il ainsi sur les plus démunis? Engagés sur les pentes du Makalu, Sophie et son équipe renoncent à l’ascension. Marraine de l’ONG Norlha, elle se rend en évaluation dans des villages soutenus par l’association (3).
Dès le mois de juin, Sophie repart malgré tout pour le Pakistan et réussit l’ascension du Gasherbrum II (8035 m), sommet emblématique du Karakoram. Sans tambours ni trompettes. «Focus» comme disent les grimpeurs.
En janvier 2016, elle donne sa démission de son poste de consultante. Impossible de tout mener de front. Un pari. À l’image des marins engagés sur les grandes courses au large, le challenge du financement des expéditions se double de celui de pouvoir payer son loyer à la fin de chaque mois. Himalayiste professionnelle, donc. Elle ne revendique pourtant pas le vocable.
23 mai 2016, elle est au sommet du Makalu (8481 m). L’un des sommets difficiles de la fameuse liste des quatorze (4). Le cinquième. Son cinquième.
Attablée à la terrasse du Bar des Sports à Chamonix, Sophie cale avec le guide Kari Kobler quelques détails de son nouveau départ pour le Pakistan. Samedi. Elle n’a débarqué du Népal que depuis deux jours.
Pashmina népalais élégamment passé sur les épaules, deux téléphones à portée de main, voix un peu enrouée par l'air froid de la haute altitude : «Je me réjouis de partir».
Et moi de l’accompagner.
(1) Sophie Lavaud, l’aventure en héritage, Femina CH, 15 février 2015. (2) www.vimeo.com/ondemand/everest (3) http://norlha.org/fr/le-chemin-de-sophie/ (4) https://fr.wikipedia.org/wiki/Sommets_de_plus_de_huit_mille_m%C3%A8tres
LA CHRONOLOGIE DES ASCENSIONS DE SOPHIE LAVAUD
Il aura fallu à Sophie Lavaud onze ans et vingt-deux expéditions pour venir à bout des quatorze sommets de plus 8000 m répartis entre le Népal, la Chine (Tibet) et le Pakistan.
2012 : Shishapangma, sommet central (8013 m, Tibet) et Cho Oyu (8188 m, Tibet)
2014 : Everest (8850 m, Tibet)
2015 : Gasherbrum II (8035 m, Pakistan)
2016 : Makalu (8485 m, Népal)
2017 : Broad Peak (8051 m, Pakistan) et Manaslu antécime (8163 m, Népal)
2018 : K2 (8611 m, Pakistan, après un essai infructueux en 2016)
2019 : Annapurna I (8091 m, Népal), Kangchenjunga (8586 m, Népal) et Gasherbrum I (8068 m, Pakistan)
2021 : Dhaulagiri (8167 m, Népal)
2022 : Lhotse (8516 m, Népal) et Manaslu (8163 m, Népal)
2023 : Shishapangma (8027 m, Tibet) et Nanga Parbat (8126 m, Pakistan)