«Un grand sommet himalayen, c'est comme un gros cheesecake. Impossible de l'engloutir tout entier d'une seule bouchée. Il faut savoir le découper en part et le manger petit à petit!» aime à répéter le guide Kari Kobler dans ses briefings de début d'expédition.
Aéroport d’Islamabad, 12 juin, 3h30.
À peine franchit le seuil du hall, la chaleur plaque au sol. «Seulement 38 degrés», ironise gentiment Ali qui nous accueille d'une boite de Pepsi local en signe de bienvenue.
Les descentes d’avion - passage d’un monde à un autre - prennent souvent des allures de rappels brutaux à la réalité. Fatigue des heures de vol, décalage horaire, nuit blanche, chaleur… et cherry on the cake, angoisse de l’acheminement des bagages. Le cocktail parfait pour une petite chronique désenchantée.
Le voyage a démarré et ne se paie pas de mots. Se répéter comme un mantra que partir n’est pas s’offrir des vacances. Partir en expé encore moins.
Faire avec. Tout ce qui se passe. Quoiqu’il se passe.
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Sortir des projections idéalisées et ne pas perdre de vue l’objectif.
Sophie (1) et Andreas (l’un des guides de haute montagne de l’équipe) savent faire.
Au sein de notre petit groupe en partance pour le K2, ils forment momentanément la «light team». Hormis leurs sacs de cabine, Ils n’ont plus de bagages! Leur matériel d’altitude n’a pas eu le temps de suivre leur descende du Makalu, gravi il y a quelques jours, et transite en bus quelque part entre le Népal et le Pakistan. Quand à leurs sacs récupérés lors de leur court passage en Europe entre les deux expéditions, ils se sont égarés entre Zurich et Islamabad. Comme mon sac de tournage d’ailleurs... Celui où est précieusement conditionné la majeure partie des accessoires de caméras et autres panneaux solaires d’altitude. Ainsi sommes-nous déjà solidaires.
Ne pas stresser. Ne surtout pas imaginer les 82000 valises, sacs et colis égarés chaque jour dans les aéroports du monde - dont environ 10000 pour la seule Europe, soit un bagage par seconde (2). Le grain de sable dans la jolie machinerie organisationnelle du voyage. Et pour ne pas cauchemarder, faire confiance à la légendaire traçabilité. En vieux routards, nous avions bien vérifié le code du luggage tag de nos sacs à l’embarquement: ISB pour Islamabad. Mais qui n’a pas eu le privilège de remplir nuitamment les formulaires abscons du service de réclamation de bagages du Royal Airport Service d’Islamabad ne peut s’imaginer l’affreux vague à l’âme qui m’enveloppe depuis mon arrivée.
Ne pas douter. Rester focus, dès aujourd’hui.
Sophie et Andreas ne doutent pas.
«T’inquiètent, les sacs arriveront avec l’avion de demain.»
Ah? Mais l’avion arrivera à 2h50, le service de bagage n’ouvrira qu’à 10H00… et notre départ pour Skardu est prévu à 6H00…
«T’inquiète, Ali les fera suivre et nous les récupérerons à Skardu.»
Ah ?
L’appel du muezzin résonne dans la ville. C’est rupture du Jeûne. Ali nous emmène dîner en ville.
«Your bags should arrive tomorrow. Inch Allah!»
Nous voilà rassurés.
(1) Lire notre précédente chronique: Les chemins de Sophie.
(2) Pertes et tracas dans les aéroports.