A califourchon sur la sangle, j’ai du mal à calmer mon souffle. Les 2,5 cm de Nylon qui m’appuient péniblement sur les « joyeuses » ne favorisent pas ma décontraction. Julien vient pourtant de traverser en aller et retour sans même prendre la peine d’enlever ses chaussures de montagne. Je peine à me lever et lorsque j’y parviens, c’est pour faire un pas timide avant de me précipiter comme un damné sur mon amarrage à ressort. Du calme !
Respiration profonde, visualisation positive et concentration sont les remèdes à la tempête émotionnelle qui me gagne. Pour l'instant, suspendu en plein ciel, j'expérimente surtout le souffle court, l'extrême tension et les tractions pour remonter sur ma monture instable. Nous sommes avec Julien Millot, le maître en la matière, au cœur du Beaufortain, sur le contrefort nord de la Pierra Menta. Ce rocher caractéristique, reconnaissable entre mille, est posé sur le fil de l'arête qui sépare Roselend de la Tarentaise. C'est avec enthousiasme que Julien a accepté cette rencontre entre terre et ciel, l'occasion de partager nos deux passions : la highline et l'escalade. La sangle que nous venons de tendre fait une trentaine de mètres, un océan. Elle est fixée entre deux gendarmes de conglomérats qui bordent l'historique et esthétique arête nord ouverte par Mermillod et Coutet en 1937 et que nous projetons de grimper en «grosses» le lendemain. L'occasion pour nous d'atteindre le sommet du monolithe et d'y tendre une nouvelle slack.
Aujourd'hui, le paysage est étonnant. Entre soleil et nuages, les lumières sont contrastées, dans une ambiance digne de celle du Seigneur des anneaux. D'un instant à l'autre, je m'attends à voir surgir Gollum ! Le vent qui s'engouffre dans la brèche ne facilite pas la stabilité. Pas évident d'activer les jambes et les neurones dans ces conditions alpines, d'autant que les amarrages qui maintiennent notre sentier du vide sont bons, mais pas «béton». Julien me conseille de tomber doucement ! Quel défi de vouloir marcher sur une sangle de moins de trois centimètres, au-dessus du vide... dans quel but ? Pour Tancrède Melet, une des figures de la discipline disparue il y a peu dans un accident de montgolfière, «il y a de nombreuses vertus à pratiquer la highline, c'est une activité très mentale qui rend plus fort.» Pour Julien Millot, aujourd'hui un des boss de slack.fr, cette discipline permet de «tester ses limites et de les dépasser sans conséquence grave. C'est une des rares activités qui permettent cette liberté.» (…)
A retrouver dans le dernier numéro de Alpes magazine. Voir le site.