Méfiez-vous des gens qui marchent, il arrive qu’ils atteignent leur but, même quand leur chemin semble ténu. Ainsi, Anne Vallaeys, journaliste et écrivaine, s’est-elle mise dans les pas des hommes et des bêtes qui, depuis la nuit des temps, remontaient la Provence vers les Alpes du Sud pour y retrouver l’herbe grasse du printemps. On croyait les sentes escarpées et solitaires de cette transhumance effacées depuis «la bétonite» des Trente Glorieuses avec voies rapides et lotissements clôturés, et motorisation des troupeaux à coups de bétaillères. Mais c’était compter sans les empêcheurs d’oublier, amoureux du pastoralisme, orpailleurs de mots qui roulent comme les cailloux de la Durance.
Avec leur complicité, Anne Vallaeys a retrouvé le fil des chemins de troupeaux que sont les carraires et les drailles. «J'aime la rudesse roulée du mot carraire, les rugosités qu'il inspire, vent, ciel, dégagement, horizon», écrit-elle. Son récit s'étire sur 380 kilomètres entre Arles, en Camargue, et l'abbaye du Lavrecq, dans les Alpes-de-Haute-Provence, parcourus au gré des orages et de la canicule, dans une solitude apaisée avec Marie, sa compagne de crapahute. Elles marchent, parfois trébuchent, titubent. Et toujours donnent à voir et à entendre. Il y a du reportage au long cours dans le récit d'Anne Vallaeys, ancienne de Libé. Giono n'est jamais loin de son carnet de croquis : «Nous franchissons un nuancier pain brûlé, gorge-de-pigeon, ponctué de chevauchements violets. Arrondi des collines de lavandes, profusion de senteurs.» Et surtout, il y a ce temps, celui du pas, dont l'écriture épouse le rythme, procurant une lecture buissonnière et érudite où résonnent les mots des bergers. Comme ceux de Serge : «La transhumance, l'altitude, les brebis tout un trimestre ! Cette montagne, je ne peux m'en passer. Mieux que le grand départ, c'est des promesses. Là-haut, je suis bien.»