Après Canton-Paris à vélo, François Suchel, pilote de ligne et écrivain voyageur, s’est lancé un nouveau défi: relier Dharamsala en Inde, siège du gouvernement tibétain en exil, au monastère de Kumbum, à Qinghai en Chine, où est né Tsong-Kaba, le fondateur du bouddhisme tibétain. Il raconte en direct pour Libévoyages son périple qui débute. Troisième chronique.
À Dharamsala, j’ai tout foiré. Arrivé une heure après la fin des conférences du Dalai Lama. Le lendemain, «Tibetan democracy day», je me demande ce que cela peut signifier si ce n’est que le Tibetan museum était fermé ainsi que le Men-Tsee-Khang où je voulais consulter une astrologue tibétaine. Mauvais karma? À 11 heures le 2 septembre, j’ai le bourdon. Il pleut sur les portraits des Tibétains immolés par le feu qui ornent la kora, le sentier qui longe le temple. Répression, torture, assassinat, brûlures, cendres. C’est l’anniversaire de ma fille Lou. Qu’est-ce que je fais là? Mon cerveau commence à tourner comme un moulin à prière.
Il faut partir, fuir cette humeur morose et pénétrante. Premiers pas, premières sueurs au sein d'un paysage de granit bleu survolé par les vautours. Premier col à 4300 mètres orné des tridents de Shiva, dieu suprême qui vit au sommet du mont Kailash. Première rencontre avec Sanjay et Nisha dans le beau village de Kuarsi. «Come to my home» me dit Sanjay en 3 secondes tandis que je marque une pause au bord du chemin pavé. Sanjay est un homme pauvre, il a repéré l'homme blanc. «Combien ça coûte, me répète-t-il à chaque objet que je sors de mon sac. Fabriqué en France? Quel métier? Combien tu gagnes?» Je mens, je suis gêné. «Quand tu auras fini ton voyage, tu peux revenir ici me donner ta camera…» Je coupe court. «Tu as voulu m'inviter chez toi, et maintenant tu me demandes un cadeau. Ce n'est pas ce que je pensais, j'aurais pu passer mon chemin, aller dormir ailleurs.» À présent, c'est lui qui est gêné. Je le rassure et nous voilà bon amis. Je lui paierai le poulet du soir.
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Je joue au docteur. Sanjay a mal aux dents et un blanc a des médicaments. Je lui prescris du Doliprane et soigne le doigt coupé de Nisha qu’elle tente vainement de nettoyer avec ses mains sales. Leur fille Anshika, 7 ans, est une réincarnation de mouche. Elle ne tient pas en place. Elle touche à tout, elle m’exaspère. Ankita, 5 ans, me vrille les tripes. Les pieds-bots, les orbites vides, elle se traîne sur une natte de chanvre, comme un objet mouvant dont personne ne semble se soucier, poussant quelques gémissements, avant de disparaître sous une couverture pour le reste de l’après-midi. La cuisine se fait au feu de bois. Les hommes mangent, main droite, pendant que Nisha nous regarde. Après ma dernière bouchée elle se sert. Je passe aux toilettes à l’indienne, main gauche. On veut un monde plus vert, haro sur le PQ!
Le lendemain, 6 heures, je pars à l’assaut d’un nouveau col à 4600 mètres en direction du Zanskar.
Le col de Indrehar (4300m).