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Libération
Billet

Un penchant pour le ciel

Chaque semaine, Cédric Sapin Defour publie sur le site Alpine Mag un billet sur la montagne. Et plus si affinités...
(精選 好東西 熊老闆 / Flickr)
publié le 8 juin 2018 à 9h54
(mis à jour le 8 juin 2018 à 9h57)

Je respire son odeur chaque jour.

Dès qu’il le veut bien, je l’observe et jamais il ne penche.

Le ciel.

Et pourtant. Lorsque je regarde les photos de montagne, de haute surtout, il penche. Le ciel. Les nuages, l’horizon, tout penche. Les montagnes aussi, Tours de Pise complices à leur insu d’un regard tordu. Pourquoi diable ce penchant ? On le devine. Pour que la pente soit encore plus pentue, pour que le vide se creuse encore, qu’il s’invente s’il le faut, pour que le vertige s’invite, étourdisse et que les spectateurs s’inclinent. Waouh !

On ne sait plus présenter la haute montagne autrement. L’a-t-on jamais su ? Il faut du raide, du rude et les strass du stress. Il faut de l’exploit, de la dureté et que nous frôle l’idée de ne pas revenir. Images et mots de la montagne se sont figés dans le registre de la difficulté et de ce que l’élément exige de vaillance. Et l’on s’étonne ensuite. On s’étonne que la montagne ne fasse pas le plein de nouveaux venus, que d’années en années, elle se démagnétise. Imaginez. Imaginez un univers qui ne serait pas le nôtre et que l’on nous présenterait par son versant âpre, par le lot de talents, de travail et de fêlures qu’il faut pour avoir le droit d’y mettre les pieds. Nous fuirions et nous aurions bien raison. La répulsion serait attractive, qui peut croire à cette Fable ? Partout, le danger et la peur effraient et l’on voudrait qu’en montagne, ils soient séduisants. Drôle d’idée. À ne parler que des exploits et des frayeurs de l’Homme, on la déshumanise cette montagne.

Nous prenons tous notre part de responsabilité.

Les médias, première caisse de résonance, peinent à raconter une autre histoire que celle de la vie qui cogne. Ceux de Paris, on les excuserait presque, ils ne savent pas que derrière leurs couvs à drames se cache une montagne toute en rondeur, toute en clémence. Ils ne la connaissent pas. Larmes et drames sont leurs seules grilles de lecture. Mais les spécialistes aussi n’osent dévier de la ligne de l’effroi. Cherchez une couverture sans vertige, ça vous occupera toute une journée de mauvais temps. Les photographes se contorsionnent pour trouver du vide où il n’y en a pas, les reporters de l’angoisse où il y en a peu. Prime à la rudesse, avons-nous oublié comme la caresse aussi fait frissonner ? C’est une habitude, il faut que l’éventualité de la mort jamais trop ne s’éloigne. Tiens… l’autre jour, j’évoquais – à des spécialistes de la question – l’objet d’un prochain livre, la biographie d’un alpiniste de renom.

– Mais il n’est même pas mort ?!

– C’est un peu le principe d’une bio. Mais si c’est mieux pour vous, je peux lui demander de faire un effort…