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Libération
Reportage

Rando montagnarde à pas de Loup

Une saison à la montagnedossier
Promenade guidée dans les Hautes-Alpes à la recherche du prédateur.
(Orest Ukrainsky / Flickr)
publié le 18 juillet 2019 à 13h01

Elle n'a jamais vu le loup. Pourtant, une fois par semaine, elle emmène des groupes sur ses pas, dans les hauteurs de la station de Serre Chevalier, en Hautes-Alpes. Le loup? Il repère le bipède à dix kilomètres, avec ses yeux de lynx, autant dire qu'on est heureux d'apercevoir les quelques traces qu'il lâche derrière lui. On se contente donc de ses poils, de ses crottes et de quelques empreintes… «Il se méfie des hommes et chasse surtout de nuit», raconte, laconique, Claire Guérin notre guide, du bureau des guides de Serre Chevalier (1).

Il descend aussi de ses hauteurs lorsque le gibier se fait rare : cerf, bouquetin, sanglier, mais peut aussi se contenter du menu fretin : campagnols, écureuils… et bien sûr, les brebis. Pour les attaquer, il compose une manœuvre rusée. Une partie de la meute encercle le Patou, massif chien destiné à protéger le troupeau, l’empêchant d’intervenir, tandis que les autres s’en prennent au troupeau. Souvent, lorsqu’il est au milieu des bêtes, le loup mord à tout va, et les blessures qu’il inflige au troupeau sont sans appel, car sa mâchoire est un nid à microbes, vu les charognes qu’il ingère. Toutes ces histoires n’entament pas la courageuse troupe qui randonne en espoir d’apercevoir la bête…

En montant progressivement, certains ahanent, d'autres ont la foulée plus souple, et la guide rassure: «tu montes à ton rythme, Béatrice» On entend le geai ou le casse-noix mouchette, on pénètre des rangées de pins sylvestres et de pins accrochés. On apprend à faire le distinguo entre la crotte «sale» (pleine de bactéries) et la «propre», celle des herbivores. On ramasse des pignes de pins grignotées par les rongeurs, on aperçoit pas loin le passage des migrants, mais de loup, point.

Dans les Hautes-Alpes. Kitty Terwolbeck / Flickr.

Heureusement, la guide nous renseigne, encore. «Il va dépenser beaucoup d'énergie à attraper le campagnol et l'écureuil, le gros gibier, c'est plus facile pour lui». Elle détaille avec humour la comparaison qui fait que l'homme dispose d'un potager à sa taille tandis que la meute – huit à dix individus — a besoin de 2 à 400 kilomètres carrés de territoire à sa disposition. On aperçoit la majesté du massif calcaire, et on en profite pour mâchonner un dicton: «Mieux vaut un renard dans son poulailler qu'un Savoyard dans son grenier». Comprenne qui pourra…

Les loups, comme les renards, «font pipi» pour marquer leur territoire. Une glande dépose des phéromones sur les crottes. On croise un bâtiment de la ligne Maginot. Et on débusque pas loin de là une crotte de poils agglutinés. «Elle date de cet hiver», croit savoir notre guide, qui explique que le reste s'est fait «lessiver par la pluie». La montagne, pour qui prend le temps de la regarder, est un conservatoire magnifique pour les fleurs de toutes couleurs. Joubarde, gentiane, hélianthème, aster des Alpes, œillets et campanules… Une délicate poésie qui contraste avec la description du loup : taille de berger allemand, poils noirs, marron et gris, dessous du ventre blanc. L'animal se fond aisément dans le paysage. C'est désormais une espèce protégée.

La meute a ses règles, avec son mâle et sa femelle Alpha – dominants — et Oméga, le bouc émissaire… Le rut a lieu fin février, et, soixante jours plus tard, les louveteaux apparaissent. Au bout de quelques semaines, ils quittent la tanière. Les loups boivent moins que nous, se contentent parfois de la rosée, peuvent jeûner plus longtemps, voient mieux à l’aube et au crépuscule, sont capables d’entendre un congénère à plus de dix kilomètres, en parcourent une soixantaine par jour, infatigable marcheur. L'hiver ils s’enrichissent d’un kilogramme de poil de bourre. C'est un animal qui se met à hurler pour dire qu’il s’est perdu et se montre très chaleureux en compagnie de ses congénères dont il lèche les babines et auxquels il se frotte.

Aujourd'hui, la population de loups est estimée à 500 individus en France. L'Observatoire du Loup a évoqué la présence de deux individus «en train de s'installer en forêt de Rambouillet», un troisième dans le massif de Fontainebleau. Murielle Guinot-Ghestem, directrice de l'Unité prédateurs-animaux dépredateurs (PAD) de l'ONCFS (Office national de la chasse et de la faune sauvage) déclarait récemment : «la population française de loups s'étend désormais de façon plus ou moins continue à l'est d'une diagonale joignant la Somme aux Pyrénées-Orientales, y compris dans les zones de plaine» (1).

Dans les Hautes-Alpes. Kitty Terwolbeck / Flickr.

Les premiers animaux, arrivés en 1992 dans le Mercantour ont donc, si on ose l’écrire, «fait des petits» Le «réseau loup» crée par l’ONCFS dispose d’un noyau de 3500 «correspondants de terrain» formés, dont 70% de professionnels. Un dispositif chargé de relever de manière techniquement homogène les indices de présence du loup sur le terrain (proies sauvages ou domestiques, empreintes, analyses génétiques, observations visuelles, excréments) (2). En avril et mai 2019, sa présence a été relevée en Indre, Vendée, Ardennes, Pyrénées Orientales et Eure-et-Loir.

Tant redouté par certains éleveurs, l'animal continue donc son «expansion rapide» en France. Jadis présent partout dans le pays avant d'être éradiqué au début du vingtième siècle, le loup, revenu naturellement au début des années 1990 par l'Italie, poursuit sa recolonisation, par «taches». A l'origine de ce retour, plusieurs arguments sont généralement avancés. La reforestation, l'exode rural, l'augmentation des proies, l'adaptabilité d'un animal capable de parcourir de grandes distances, et de strictes mesures de protection (Convention de Berne, directive de l'UE). Face à cette expansion, la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), les Chambres d'agriculture et les associations d'éleveurs ont demandé fin juillet à l'Etat «un renforcement des mesures contre les attaques de loups» (3).

(1) Les randonnées ont lieu chaque semaine du 5 juin au 15 septembre, renseignements au bureau des Guides de Serre Chevalier : 04 92 24 75 90.
(2) La Croix, 9 janvier 2018.
(3) AFP, 7 août 2018.

Crédit: Chokb / Flickr.