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Pics et rocs

Bonatti, un alpiniste dans le Grand Nord

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Tous les quinze jours, chronique de nos hauteurs. Par Didier Arnaud. Aujourd'hui les reportages de Walter Bonatti.
La rivière Yukon. (Stefan David, CamperCo.de / Flickr)
publié le 21 novembre 2019 à 15h06
(mis à jour le 21 novembre 2019 à 15h06)

C’est un alpiniste à la carrière outrancière, au talent qui déborde! L’éperon Walker des Grandes Jorasses à 19 ans, la première de la façade est du Grand Capucin, le K2 avec les Italiens en 1954, la première du pilier sud-ouest des Drus en solitaire, et pour conclure et finir en beauté: l’ouverture, en hiver, d’une voie directe dans la face nord du Cervin. Le nom de ce petit gars n’est inconnu pour personne: Walter Bonatti.

Ce qui l'est moins, c'est sa vie d'après. Dans les années soixante, un peu dégoûté par le milieu, le grand alpiniste se transforme en photo reporter pour l'hebdomadaire italien Epoca. Il va se rendre aux quatre coins du monde. Alaska, Cap Horn, Sibérie, Nouvelle-Zélande… Une de ses premières destinations l'emmène sur les traces d'un de ses auteurs favoris -Bonatti a un goût sûr- Jack London, dans le Grand Nord américain, sur la trace des chercheurs d'or du Klondike, puis, en canoë, pagayant sur le Yukon pendant plus de 2500 kilomètres.

Bonatti en a sous la pédale. Et il a de la plume. Lisons-le un peu. «L'air est imprégné d'odeurs fraîches de peupliers et de saules. Tout, en peu de jours, est devenu vert et vivant. C'est une nature qui chante. Chante la Yukon River bouillonnante […] chante le vent quand il ébouriffe l'eau du fleuve ou fait onduler les vertes sapinières sur les rives […] Tu penses. Tu es petit, fragile, et pourtant, tu crains de rompre l'enchantement […] Alors, tu plonges la rame dans l'eau plus doucement, sans bruit : c'est ton chant. Tu fais partie de cette nature».

Il est là, Bonatti, modeste et touchant, fidèle à ce qui lui a enseigné la montagne. Se fondre dans la masse, ce qui l'entoure, ne pas trop faire de bruit. Autour de lui, les hommes en font déjà assez. Dans son dernier chapitre «Massacre dans les îles Pribilof», Bonatti évoque l'abattage des ours, «périodique», qui suit «des règles coutumières», «techniques parfaites mais impitoyables». «Ces exterminateurs choisissent les mâles […] puis d'un seul coup terrible sur le crâne, terrassent leurs victimes. Il y a un quota à respecter […] l'exploitation des peaux ne doit pas conduire à la destruction de l'espèce, comme cela fut le point d'advenir dans le passé. Ultime image de mon voyage dans le Grand Nord : une étendue de gros animaux foudroyés, abattus d'un seul coup de masse sur la tête».

C’est l’ultime phrase de son reportage. Nous sommes en 1966. Bonatti, alpiniste courageux, humain. Journaliste engagé.

Mon voyage dans le Grand Nord américain

chez Arthaud, novembre 2019. 176 pages, 22 euros.