Cela faisait un moment que je n’avais pas traversé ces territoires virtuels. En ces temps de confinement, j’ai préféré ceux de l’imaginaire… Voilà que je reviens et je découvre, de publication en publication, en montagne aussi, en montagne surtout, des chants de liberté. Bravo. Je ne cesse d’écrire depuis des années sur notre aveugle docilité et sur le perfide piétinement de nos libertés, pièges auxquels notre univers vertical n’échappe pas quoique l’on dise de son altérité et de ses résistances.
Alors bien sûr, je souscris à cette soif libertaire. Comme tant d’autres, je crains que des mesures d’exception, légitimes dans l’urgence, deviennent insidieusement la règle et le terreau d’habitudes liberticides. Au-delà de ce fameux 11 mai, devenu jour angulaire de nos vies, il nous faudra ouvrir l’œil et mesurer les grignotages. Nous y veillerons en vigies convaincues.
Mais permettez-moi tout de même trois observations, mélange de surprise, de réserve et d’espoir. Promis, après, j’en retourne à mes rêveries.
La première est celle de l’échelle
Discutant ces derniers temps avec tel ou tel compagnon de montagne, chacun me disait, dans une sagesse non feinte, que sa privation du moment (qui plus est temporaire) n’était qu’une souffrance fluette, à remettre en perspective des désespoirs d’autrui. Soit. Je me réjouissais de ce qui n’était pas une capitulation mais une pudeur patiente. La prise de hauteur persistait malgré la perte des sommets, le pouvoir serein des montagnes aurait donc cette charmante rémanence. Mais il a suffi d’élever en mantra l’ardent désir de fouler, à nouveau et d’urgence, les cimes pour que cette menue privation d’hier se meuve en la plus insoutenable des désolations. Arrive un seuil où tout s’emballe et où les caractères individuels s’effacent au profit des croyances de foule. Je me suis toujours méfié de l’effet de groupe, prestidigitation trop souvent nauséabonde même lorsque l’enjeu collectif est de glaner quelques minutes au calendrier des libertés. Et c’est, je crois, ce qui me manque le plus à ne plus pouvoir m’engouffrer dans les montagnes. Fuir les certitudes de légion.
La suivante est celle du moment
La quête de liberté, certes, n’a pas de saison. C’est la lutte d’une vie et qui jamais ne doit fléchir. Mais elle a, aussi, ses nécessaires oscillations.
Il y a autour de vous, de moi, des morts. Pas seulement des chiffres lointains égrenés chaque soir comme l’on dirait le temps qu’il fait et auxquels on finit tragiquement par s’habituer. Non, ces chiffres sont des êtres et parmi eux, un ou deux numéros que j’aurais aimé convenablement saluer. Si j’avais pu m’entretenir une dernière fois avec elle ou lui, je n’aurais pas évoqué mes frustrations de sportif épris du grand air. A tort sans doute car ils étaient de ceux considérant cette futilité comme essentielle à la bonne marche de nos vies et au-delà, à l’équilibre du monde. A tort sans doute car ils étaient de ceux ayant voué leurs jours à défendre le moindre lopin de liberté. Ces deux-là n’ont cédé qu’une fois, de manquer d’air. La montagne aussi me manque, je crois pouvoir dire «profondément» mais je ne leur aurais rien dit de tout cela. Car il est une politesse qui se nomme la décence et des instants plus malvenus que d’autres pour évoquer ses propres états d’âme, aussi corrosifs soient-ils. Si les peines ne sont heureusement pas classables, en réalité, il existe des occasions d’élégamment se taire qu’il ne faut pas rater. S’il dure moins longtemps, je crois préférer l’ennui à la mort.
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Est-ce tout confondre que dire cela ? Je ne le pense pas. Dès lors qu’on évoque la vie qui étouffe ou qui s’éteint, le sujet est le même, celui de l’impérieuse nécessité de l’honorer.
La dernière vigilance est un espoir, celui de l’heureux débordement…
Qu’un élan libertaire naisse de son pré carré, il n’y a rien de surprenant à cela. Il est des sujets que l’on maîtrise mieux que d’autres, des sensibilités plus à vif car touchant au quotidien de nos existences et au sens que nous avons souhaité ardemment leur donner. Mais les combats face aux privations de liberté méritent que l’on regarde au-delà de ses seules pertes personnelles. Les indignations libertaires sont de la trempe de l’universel. Cela ne dit pas de notre lutte qu’elle est illégitime mais invite à ne pas penser qu’elle est la seule valable. Des migrants braconnés à la presse bâillonnée, des caméras partout aux manifestations nulle part, s’il fait encore bon vivre ici en France, nos méfiances ne perdront rien à scruter au-delà des montagnes et à venir en aide à celles et ceux n’ayant pas ce luxe de choisir leurs colères. L’indignation s’exporte aisément vers d’autres géographies que notre nombril grincheux et soyons-en persuadés, à se désintéresser petit à petit de soi-même, un chant de liberté gagne en noblesse et en écho.
Souhaitons pouvoir bientôt retourner en montagne. C’est tout le mal que je nous souhaite.
Et si cette parenthèse a fait de nous de vaillants chantres de la liberté, alors espérons que cet hymne résiste et s’étende lorsque endorphines et selfies sommitaux seront joyeusement de retour dans nos vies.
Il s’agira, quand tout ira mieux dans nos montagnes, de nous souvenir de ce goût immodéré pour les choses de la liberté.
Alors ce fichu surplace aura servi.