La mer est hostile: elle crée la solidarité. Ce monde dur, froid, désertique, imprévisible, ne pardonne pas l’individualisme. Les navigateurs solitaires sont l’exception, qui se mettent volontairement en danger, même s’ils dépendent, malgré tout, d’un réseau de secours en cas de malheur. Seul face à l’océan ? Il faut un caractère d’acier et une force peu commune pour s’y risquer. Les équipages s’entraident, les navires assistent les navires, les sauveteurs sont prêts à se sacrifier pour la vie des autres. Aller sur l’eau, c’est dépendre.
Navigateur peu solitaire, coureur du Vendée Globe néanmoins, Eric Bellion a compris ce paradoxe mieux que les autres. La solidarité, qui est la seule bouée de sauvetage en mer, il la pratique aussi avec les habitants du rivage. Pour lui, les valeurs des marins valent aussi pour les terriens. Avec quelques tours du monde au compteur, il a décidé de partager le carré de sa goélette avec des équipiers «différents»: des jeunes adultes handicapés dont il veut montrer qu’ils sont tout aussi aptes que les autres à affronter la mer.
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La mutuelle Klésia est de la partie en concourant aux besoins matériels du périple : un tour du monde étalé sur plusieurs années, avec embarquement de nouveaux matelots à chaque escale et, en prime, le passage du nord-ouest entre Alaska et Russie, rendu possible par le faible tirant d'eau du bateau. Rien d'une opération charitable pour bisounours : Bellion compte sur la difficulté de la vie en mer pour motiver ses apprentis marins et les aider, par l'exigence, à surmonter leurs difficultés apparentes. «Innover par la contrainte», dit-il: la contrainte de la mer pour l'émancipation des hommes: paradoxe réaliste pour un homme qui n'aime pas raconter d'histoires, mais qui compte en écrire une, exemplaire et réconfortante.