Il est parti de Concarneau (Finistère) vent de travers, petite brise légère, filant avec un petit trois nœuds au compteur, le sourire au soleil, ce samedi 20 octobre. Eric Bellion semble serein. A bord de sa goélette «COMME UN SEUL HOMME» (écrit tout en capitale), 18 mètres, quarante tonnes bois et acier, le skipper semble à l’aise à quelques jours de la course qu’il va disputer dans la catégorie Rhum mono, dont le départ sera donné le dimanche 4 novembre. Son bateau, il le mène à Saint-Malo, pour être à pied d’œuvre.
On croise, sur le quai, «JiPé», le coach sportif qui salue de la main. Avec lui, le navigateur a préparé le Vendée Globe –où il a terminé neuvième, et premier des bizuths, ceux qui concourent pour la première fois– et le Rhum, qui part de Saint-Malo. Bellion est un peu partout, à la barre, sur le pont, pour vérifier si ses voiles sont suffisamment bordées, devant son ordinateur pour vérifier sa «route», le tracé qu’il a choisi pour mener son embarcation à bon port.
Corrections
A bord, quatre voiles sont sorties : le code Zéro, la Misaine, le Fisherman et la grand-voile. Dans la carrée, Antoine Carmichael, constructeur de bateau et ancien marin pêcheur, venu prêter main-forte à Bellion, explique en connaisseur : «le fisherman, ça occupe son marin. Ce n'est pas une voile à utiliser par temps fort, car elle est quand même volage, tenue par rien». Jean Le Cam passe au loin avec son bateau à bâbord, rapide. Les voiles de «COMME UN SEUL HOMME» fasseyent un brin. Eric Bellion corrige le tir. Il confie en passant qu'à chaque départ de course officielle, il «manque d'air». Comprendre : n'a pas de chance avec le vent.
Au bout d’une heure, le navigateur tente de démarrer son moteur, mais il s’arrête soudainement. Il appelle «Ifi», un mécanicien, à qui il explique qu’il va vérifier toutes les «connectiques» de batterie. La tuile. La panne a lieu alors qu’on croise à peine au niveau de l’archipel des Glénan. On descend la quille pour le retour au près serré au port pour une éventuelle réparation, on affale le fisherman et remet foc et trinquette, voiles plus modestes. Et on fait demi-tour.
Finalement, une heure plus tard, le moteur repart grâce à une astuce technique, la goélette effectue à nouveau un demi-tour, pour faire route vers la destination finale, Saint-Malo (Ile et Vilaine). Problème : il faut arriver au niveau du raz de Sein à temps avec la marée…
Partenaires et pot-au-feu
18 h 30. Marie Lattanzio, la compagne d'Eric, enfile un tablier de cuisine. Normal, c'est son métier d'origine. Au menu du soir pot-au-feu –«c'est rare de déguster un plat comme ça à bord», confie, l'eau à la bouche, Antoine. Mais Marie s'occupe également de la recherche des partenaires du skipper et de sa communication. Un des axes principaux de leur argumentaire tourne autour de la «décélération» ou les différentes manières d'envisager l'existence en avançant… moins vite, et en assurant une meilleure harmonie et qualité de vie, des thèmes chers à Eric Bellion. Mais aussi une vraie gageure pour un futur concurrent du Rhum! Qu'importe, le moteur désormais en état de marche, rasséréné, Eric Bellion revient sur l'incident. Il philosophe : «Souvent, il y a un problème technique, tu te mets dans des galères pas possibles, mais tu apprends toujours quelque chose».
19 h 21, le soleil se couche. Le bateau avance tranquille et tout le monde mange avec appétit. Plus tard, Eric Bellion explique comment les voiles mises permettent de serrer le vent «comme des ailes d'avion». Antoine, conteur dans l'âme, raconte avec force détails comment il a failli être harponné par un porte-conteneurs alors qu'il naviguait dans le rail d'Ouessant. La vague que formait l'étrave du bateau l'a heureusement repoussé plus loin.
2h00. Justement, le rail. La radio crachote à destination d'un bateau qui paraît faire n'importe quoi : «Monsieur, vous prenez le rail à l'envers, j'aimerais savoir quelles sont vos intentions». De quart, Eric explique que parfois, des marins «mouillent un peu trop la meule» (boire plus que de raison ndlr) et s'égarent ainsi dans leur navigation. Pendant ce temps-là, des dauphins accompagnent le bateau, jouant avec l'étrave. Moment magique quand on aperçoit leur fuseau argenté.
Dimanche matin. A bord du bateau, Jean de Villèle, directeur des ressources humaines du groupe Klésia (1) partenaire de «COMME UN SEUL HOMME» participe en silence à la manœuvre. Lui aussi apprécie la navigation. Son entreprise suit Eric Bellion depuis 2014: transat Jacques Vabre, Vendée Globe et bientôt route du Rhum…
Standing-ovation
Les principes d'action du navigateur –oser la différence, faire confiance, innover, développer la performance collective, entre autres– ont séduit l'entreprise, qui les a mis au programme de son comité exécutif. A l'époque, le groupe s'ouvrait à la concurrence et devait faire face à une profonde transformation «culturelle». Eric Bellion est intervenu dans des conférences «en interne», et cela a fourni de nouvelles armes aux salariés. «La plupart savent ce qu'a fait Eric, note Jean de Villèle, et ils connaissent ses modes d'action. Il a fait un tabac auprès des managers, quand il est venu à l'assemblée générale, il a reçu une standing-ovation».
Dimanche soir, le bateau file à bonne allure. Plus de huit nœuds. Antoine commente : «C'est pas aujourd'hui qu'on va jouer aux boules. C'est gooding» (mélange de good et dingue, en langage de marin breton, ndlr). Plus tard, Eric Bellion fait un briefing. «A six heures du matin, on se présente dans le chenal de Saint-Malo. Juste avant, c'est un nid à cailloux, on affale les voiles, on démarre le moteur, on met les parebottage –bouées en caoutchouc de protection– de chaque côté du bateau. L'écluse risque d'être pleine. On va faire des manœuvres tout doux, tranquillement. Puis on rentre, on se cale, on s'amarre». Quatre heures plus tard, le long d'un quai rempli de concurrents du Rhum, c'est chose faite.
(1) Groupe paritaire de protection sociale à but non lucratif.