«Le Vendée Globe, un rêve: non! Je l'ai disputé j'avoue un peu par défaut pour médiatiser ma cause. Je le fantasmais plus que je ne l'imaginais. En fait je ne me rendais pas compte de ce que représentaient trois mois seul sur un tel engin. Mais c'était pour moi la même démarche que d'aller faire quelque chose de nouveau en sortant de ma zone de confort. Je voulais aussi prouver que d'aller dans l'inconnu ça fait mal, c'est difficile, mais qu'on peut réussir. D'ailleurs j'ai très vite été dépassé par le scénario de la course», rappelle le navigateur, qui s'est filmé 99 jours sans filtre lors de son tour du monde. Un face-à-face avec la mer devenu un long-métrage immersif et intimiste qui sortira le 20 janvier 2019 au cinéma (1).
Charismatique, le formateur en management de la diversité prône que la différence est une force, qui envoûte. Étayé par de fortes convictions, son discours parfois agace mais ne laisse jamais indifférent. Début 2015, quatorze mécènes décident de le suivre. Il acquiert un bateau dont le nom de baptême est Rua Hatu (la divinité polynésienne de la mer) et contacte Michel Desjoyeaux, double vainqueur de l'épreuve. Ce dernier lui conjure de faire ses gammes entre la Bretagne et l'Espagne sur un monotype de dix mètres utilisé pour la fameuse course en solitaire du Figaro, lui passant son propre bateau. Puis il lui met «dans les pattes» Sam Goodchild un jeune régatier britannique plein de talent afin de l'aider à mieux appréhender ce voilier extrême de plus de 18 mètres, bien trop compliqué à mener pour un amateur. «Il était tellement différent de moi, lui le professionnel de 25 ans et moi l'amateur, de 39, se remémore Eric Bellion. Je pensais qu'il allait être incontrôlable, qu'il allait me casser mon bateau, me bouffer la vedette! Je pensais même qu'à bord j'allais devoir me défendre pour justifier et assumer mes choix, car de plus je n'étais pas sûr de moi. Au final, Sam c'était l'équipier parfait, sans trop d'ego, avec l'envie de servir le projet.»
Régime et stage de survie
Rassuré et déterminé, Eric Bellion se glisse désormais dans la peau d’un navigateur pro. Méthodique mais anxieux, il s’entoure de gens compétents mais n’hésite pas à s’en séparer quand lui-même se met à douter. Il modifie son hygiène de vie, effectue un régime alimentaire drastique, affûte son corps en salle de sport, travaille avec un médecin spécialiste du sommeil et une préparatrice mentale, suit le stage de survie et de premiers soins en mer. Quand il n’embarque pas ses mécènes pour un tour de bateau vers les Glénan, il passe une partie de ses journées à découvrir la préparation d’un voilier de course, apprend les rudiments de la construction navale, sollicite le meilleur météorologue actuel…
Sans contraintes familiales, ayant lâché son petit appartement à Paris, et installé à Port-La-Forêt d'où est issue la crème de la course au large – Desjoyeaux, Le Cam, Gabart, Le Cléac'h, Cammas… – il cohabite désormais avec l'élite, qui le respecte mais ne le craint point, lui n'ayant aucune chance de bien figurer dans la course. Son parcours de qualification en solitaire obligatoire afin d'obtenir le sésame pour prendre le départ du Vendée Globe, est vécu comme une première victoire, malgré la crispation qui ne le quitte pas. Et lors des jours qui précédent le départ aux Sables d'Olonne, Eric Bellion est pris dans une spirale vertigineuse mêlant à la fois le stress et le privilège de faire partie de ces 29 «héros» partants pour bon nombre dans l'inconnu. «J'ai mis quatre jours à me remettre de mes émotions du départ, raconte le marin. Je n'arrivais pas à dormir, j'étais contracté. Dans la descente de l'atlantique, je n'avais qu'une crainte, celle de me faire larguer par le groupe d'attardés avec qui je naviguais… et me retrouver seul dans les mers du Sud.»
Métamorphose
Il envoie à terre des images, où hagard sur sa couchette, il dévoile au grand jour ses doutes et sa déprime. «Je ne me sentais pas bien du tout, me disant que ce défi était trop lourd pour mes épaules. Je me trouvais trop petit, trop faible, et quand je voyais des adversaires abandonner sur casse, je les enviais presque de s'arrêter. J'avais envie de dire stop et j'ai songé à me dérouter vers l'Afrique du Sud…» Son proche entourage et des marins lui remontent et le moral et les bretelles ! Il parvient à changer un safran (gouvernail) arraché, subit sa première tempête, se rend compte que bateau et bonhomme tiennent… et décide de poursuivre sa route dans l'océan indien… pour au moins pouvoir se dire qu'il est allé voir ! Marqué par le film Imitation Game de Mortem Tyldium, obnubilé par son credo : «innover grâce à la contrainte», Eric Bellion entame une sorte de métamorphose au fil des jours. Un déclic. Il entre enfin en harmonie avec son bateau, lui parle comme à un être humain et n'est pas sans rappeler Bernard Moitessier qui entretenait une relation quasi amoureuse avec Josuha, son ketch rouge.
Il essaye de juguler sa peur, cesse enfin de brider son bateau, découvre que ce dernier cavale sans se poser de questions. «Le fait de ne pas avoir cette expérience de marin solitaire et de formation spécifique à l'exercice grandit la solitude. À chaque fois, je vivais une aventure totale car personne ne pouvait valider mes choix à ce moment-là. Parfois, je me disais que peut-être j'étais en train de faire une grosse connerie. Et il n'y avait personne là pour me conforter. J'étais toujours dans le doute sans aucune certitude, complètement seul.»
À l'attaque, le marin sème pourtant ses concurrents directs. Lorsqu'Armel Le Cléac'h franchit la ligne d'arrivée en grand vainqueur, il lui reste pourtant encore un mois de mer: «c'est surtout cette longueur avec la peur sous le bras nuit et jour qui est fatigante à vivre, même si cette peur devient presque une alliée, une amie!» raconte-t-il. Après un ultime terrible coup de tabac au large du Portugal et des vents de la force d'un ouragan, le skipper de Comme un Seul Homme boucle son tour du monde en moins de cents jours, à la neuvième place et la première des novices. Barbe fournie, regard bleu délavé et halluciné, il a un air «christique» et nage en plein bonheur sous une pluie battante. «J'ai vaincu ma peur et c'est une grande fierté. C'est comme si la mer m'avait tapé sur l'épaule en me disant ça y est Eric, tu l'as fait, tu es allé au bout, toi et ton bateau!»
Ce 4 novembre 2018, il prendra le départ de la Route du Rhum, cette fois sur une goélette confortable de plus de 20 mètres, histoire de poursuivre une nouvelle aventure.
(1) «Comme un seul Homme» en salle en janvier prochain.
Bande annonce du film " Comme un seul homme[🎥SILENCE ÇA TOURNE] Nous sommes heureux de partager avec vous, en exclusivité, la bande annonce du film "Comme un seul homme" produit par les Films du cap et distribué par UGC. Sortie officielle dans votre cinéma en janvier 2019 ! Encore un peu de patience. 🎞🎬
Posted by Comme un seul homme on Wednesday, September 19, 2018