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Initiatives

En mer, des initiatives tous azimuts

Une transat en solidairedossier
Tour du monde des inventions low-tech, bateau ramassant le plastique, microalgues ou voitures en jute... Les navigateurs ne sont pas avares de projets.
Au Bangladesh. (Nazir Uddin Mahmud / Gold of Bengal / Flickr)
publié le 25 octobre 2018 à 10h35

C'est une espèce de drôle de truc où les gens, plutôt jeunes, cherchent, naviguent et réfléchissent. A Améliorer le monde. Cela fait six ans que le «fonds Explore» a officialisé la création de son bureau d'études, à Concarneau, dans le Finistère. Le navigateur Roland Jourdain, dit «Bilou», s'occupe de skipper l'affaire.

Il est, dit-il, «allergique» aux bateaux en carbone. Et prévient d'emblée : «Notre navire montre de sérieux signes de fatigue : un climat qui change, des pollutions multiples, une raréfaction des ressources, une biodiversité en danger… Des bouleversements qui affectent autant la nature que l'homme». Donc, il a décidé, avec ce fonds, d'agir.

Dans un monde où les fonds publics sont rares, sa culture se nomme sponsoring. «La planète que je voyais énorme, je mets deux fois moins de temps à la parcourir», explique-t-il. Alors, avec Explore et ses coups de pouce, il ouvre le réseau et «permet à la lumière d'entrer». Les membres d'Explore organisent des parcours d'avenir pour les jeunes, leur font découvrir des métiers pour demain, en leur montrant qu'il y a d'autres possibles.

Quentin Mateus, porteur du projet Agami voulait avant tout «revaloriser la fibre de jute». L'objectif est de rassembler différents partenaires autour d'un projet collaboratif et pousser à l'industrialisation. Leur objectif: monter une chaîne locale de production, fabriquer des pièces automobiles en jute, une matière semblable au lin et devenir à terme une plateforme industrielle. Le jute est la deuxième fibre produite au monde, entre 1 million et 3 millions de tonnes. Pour le traiter, on l'immerge dans l'eau, les bactéries grignotent le liant entre tige et fibres, ensuite la fibre est séchée puis peignée et imprégnée de tissu de résine. Au final, on obtient un matériau dur. «Au départ il y avait un enthousiasme fou. Mais on n'a pas réussi à transformer l'essai», reconnaît Quentin Mathéus. Il faut à nouveau convaincre des partenaires techniques, Indiens et Français, réaliser des pièces de démonstration pendant six mois, réunir les partenaires…

Le véhicule devrait être construit et prêt à être testé sur le terrain avant d'être exposé au salon de l'automobile de 2020. «Renault a fait des essais pour remplacer les matériaux issus du pétrole par des microfibres naturelles, c'est 25% plus léger, un tiers plus résistant et dix pour cent moins cher», commente Quentin. Avant d'ajouter : «Le sujet matériaux est, pour un constructeur, de la culture générale, c'est l'équipementier qui choisit». Le projet Agami a reçu un prix coup de cœur pour la recherche à Convergences (1).

Plastique

Explore ne se limite pas à la recherche. Ainsi, Plastic odyssée, fondé par Simon Bernard et Alexandre Dechelotte, qui tous deux ont fait l'école de marine marchande, en naviguant sur de gros navires. Les deux marins se sont rendu compte de l'ampleur de la pollution plastique des océans.

Leur but: revaloriser les déchets plastiques et développer des technologies de tri pour les déchets non recyclables, les retransformer en pétrole, via la pyrolyse du plastique, les développer et créer une vraie économie. Récupération de déchets, broyage en paillettes. «Avec un kilo de plastique on récupère un litre d'essence et de diesel, il existe un partenariat avec Veolia», expliquent-ils. «On a construit un démonstrateur en janvier dernier, le prototype s'appelle Ulysse, un petit appareil avec une machine à pyrolyse dessus. L'ambition, c'est de faire un gros bateau et une expédition de trois ans, dans les zones les plus touchées par ces pollutions, donc en Amérique du Sud, Asie et Afrique, avec un bateau ambassadeur du recyclage de plastique». Pour ces populations qui n'ont pas de ressources, l'enjeu est d'importance. Une «économie du plastique» peut se mettre en place. Ce dont rêvent les deux compères, c'est créer une solution à l'échelle mondiale, sensibiliser, diffuser et créer des emplois pour leur projet. Le prototype sera construit de A a Z. le bateau devait être exposé sur le toit des galeries La Fayette début octobre.

Microalgue

Explore lance vraiment ses lignes tous azimuts. Ainsi en va-t-il de Corentin de Chatelperron. Il y a cinq ans, le jeune navigateur et ses équipiers partent à la recherche des meilleures innovations low-tech de la planète. Ils effectuent un quasi-tour du monde à la rencontre de ces inventeurs. Leurs trouvailles? A Madagascar Mme Vola qui développe la spiruline, une Microalgue très efficace pour les enfants mal nourris. A Dakar, c'est une éolienne fabriquée à base de moteurs d'imprimantes. Ailleurs, c'est un chauffe-eau solaire, ou encore un système de culture hors sol avec du jus de compost qui fait pousser les plantes dans des zones où il n'y a pas d'eau. Il y a aussi cette jeune Indienne qui fabrique des réchauds à bois très économes pour lutter contre la déforestation, une Thaïlandaise qui élève des insectes comestibles, ou le jeune Tor, un Thaï qui cultive des champignons qui poussent sur l'hévéa…

«On essaie de monter un panel de solutions pour répondre aux problèmes de base», explique Corentin. Fin octobre quinze films documentaires devraient être diffusés sur Arte. Et de citer pour conclure d'autres initiatives low-tech, en France cette fois, tel les toilettes sèches, les chauffe-eau solaires fabriqués avec des pièces de frigo, des légumes poussant grâce à l'urine, des grillons vivant dans des boîtes à œufs ou le pédalier de vélo destiné à produire de l'électricité.

Entendu comme ça, on pourrait croire qu'on a affaire à des doux dingues, des rêveurs dont les inventions resteront à jamais dans les cartons : on est loin du compte. Corentin et ses équipes étudient aussi la fabrication d'une pompe aux Philippines pour alimenter les villes en eau potable, la manière la plus économe d'éclairer des bidonvilles ou de conserver la nourriture (par fermentation) au Vietnam. Une «base de vie low-tech pour les réfugiés climatiques». Bref, du sérieux pour notre futur.

(1) Convergences est un groupe de réflexion français créé en 2008. Il publie des rapports et organise un forum annuel sur les thèmes du développement durable et de la lutte contre la pauvreté.