Dernières nouvelles de Yann Elies, quatrième du classement de la route du Rhum, dans la classe Imoca avec son «Ucar-Saint-Michel», un monocoque de soixante pieds, ce mercredi 7 novembre, au petit matin : «Je suis un peu groggy. La tempête est maintenant derrière moi. J'ai fait le tour du bateau et tout semble OK. C'est une bonne nouvelle pour attaquer la suite. Ce n'est malheureusement pas le cas pour tous les concurrents. J'ai réussi à me reposer pendant la dépression. Même si je ne dormais pas, je m'allongeais sur la bannette. Maintenant que les conditions se sont calmées, je vais remettre du charbon et me remettre en mode course. Il y a du boulot pour revenir ! La prochaine étape est le franchissement de l'anticyclone des Acores qui nous barre la route. Je me dis que ce n'est pas fini car les premiers peuvent être ralentis.»
Quelques jours avant le départ, le navigateur est un peu perdu au milieu de ses 123 autres collègues navigateurs du Rhum- Il se dit malgré tout «heureux d'être là. En avril dernier, notre sort s'est scellé en quinze jours. Cela constitue une victoire de se retrouver au départ». Pour cette compétition, Yann Elies, 44 ans, évolue en classe A.
Enfant gâté
Il explique s'être retrouvé «dos au mur» avant le départ, ne pas savoir s'il pourrait garder ou vendre le bateau, trois millions d'euros, quand on voit «les traites qui s'accumulent».
Le bateau sera vendu après le Rhum. «C'est une sacrée chance de naviguer sur ces machines, après, c'est sûr, pour nous, le jouet n'est jamais assez beau, tu deviens un peu un enfant gâté». L'objectif de Yann est énoncé simplement : «il faut que je le gagne, finir l'histoire de ce bateau au mieux, avec Jean Pierre (Dick ndlr), on a remporté la Jacques Vabre ensemble, c'est là un peu la dernière occase, avec un Charal -skippé par Jeremie Beyou- en face qui vole carrément». Yann Elies assimile la course en solo à un «retour au dur», «quand je suis tout seul, ce n'est pas pareil, le côté psychologique est indéniable et différent, quand toute l'équipe technique se barre, tu te retrouves tout seul à bord… ça va faire drôle à un paquet de mecs au départ».
Il rappelle au demeurant, et à l'ignorant des choses de la mer, que la course s'effectue sans routage et que, du coup, «il faut bien préparer à terre» ces trois premiers jours de course, déterminer les différents scénarios pour dire au moment du départ, «le front va être comme ça, donc, je prends celui-là». Après «tu es un peu en mode pilote automatique», il reste à s'acclimater, gérer les éléments, les pêcheurs, parvenir à «manger, dormir, faire avancer le bateau au bon endroit».
Le navigateur explique que le moment du départ est rempli de beaucoup de stress, qu'il faut savoir se recentrer sur l'essentiel, entre les sollicitations pour aller boire un coup, les selfies, les interviews… Tout se calme, selon lui après quatre à cinq jours, le temps de quitter les tempêtes automnales, il va appeler sa femme, «repenser aux autres qui sont au taquet», car dit-il encore, les premiers jours «on entre la tête dans une machine à laver, on fait fonctionner le minimum vital».
Machine incassable
Malgré tout, il pense que ce sera plus cool qu'il y a quatre ans, en mode 70, où tout le monde était inquiet, il y avait une dimension dramatique. Au Vendée, cela a été très dur, «il y avait le passif de mon naufrage – sur le Vendée Globe 2008, ndlr- qui rôdait». Il espère un «départ plus apaisé, avec l'ambition de faire quelque chose de bien». Pour autant, ce genre de course n'est «pas anodin». «On part au front, mais je me sens confiant, avec une machine incassable, je vais pouvoir cravacher ma monture», explique le skipper.
Yann Elies se défend de penser à l'après-course, le bateau est vendu, il n'a pas de sponsors pour la suite, même si ce n'est «pas complètement noir», car il va «faire la prochaine solitaire du Figaro». Le marin est pragmatique, «à 44 ans, ce sont les dernières courses qu'on fait». Comment juge-t-il les difficultés actuelles par rapport à ses débuts? «Ca a toujours été difficile. Après, on a plus ou moins de chance, il faut avoir un peu de réussite, rencontrer les bonnes personnes au bon moment, d'autres ont mieux bossé que moi, je n'ai pas assez investi pour trouver des sponsors». Il avance sa philosophie comme suit : «ce n'est jamais bon d'être dans l'urgence, les gens le voient bien. Tu n'es pas en position de force pour négocier quoi que ce soit».
Et Elies de décrire la difficulté de rechercher des partenaires, un travail très ingrat. «Tu peux passer des années à revivre la même vague et ne jamais y arriver. Tu passes la barre, mais quelquefois tu n'atteins jamais le bon spot». Cependant, il est conscient qu'il est «plus facile de s'adresser au chef d'entreprise à notre âge, on a appris à connaître ce qu'attendent les sponsors, on est des marins plus mûrs. On peut proposer plus rapidement un retour sur investissement, on sait ce dont ils ont besoin». Elies est surpris par autant de ferveur et de monde au port de départ, «on n'a pas l'habitude de rentrer dans un stade de 80000 personnes», commente-t-il.
Ce qui assure leur succès s'énonce simplement : «Nous ne sommes pas des affabulateurs. On ne triche pas, c'est bien que les gens s'identifient à notre sport. Certains skippers – il ne dira pas lesquels — usurpent un peu ce qu'ils vivent réellement, mais il n'y a pas besoin d'en rajouter, juste de montrer ce qu'on vit». Il fait remonter cette tradition à Tabarly qui a permis au public de s'initier à la course au large. Tabarly était humble et taiseux… «ce qui manque aujourd'hui, croit savoir Elies, ce sont les passes d'armes, les duels, on ne veut pas trop faire de vagues, on est là pour vendre un produit… Alain Colas était un personnage fantasque».
Malgré tout, Elies et quelques autres ont signé une lettre pour l'Aquarius, un soutien à l'association SOS Méditerranée. «Malheureusement», regrette Elies, «cela merdé juste après»…
Crédit: Y.ZEDDA_UCAR_STMICHEL