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Arizona junior

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Deux frangins (Coen), un couple hystérique (Cage-Hunter) et une cavalcade jouissive dans une Amérique repeinte aux couleurs du cartoon.
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publié le 9 janvier 2008 à 7h00

Deuxième film écrit par les frères Coen après Blood Simple (Sang pour Sang, 1985), Arizona junior (Raising Arizona en V.O.) avait déjà tout, à l'époque (1987), d'une sortie de route. On croyait ce duo parti pour broder du polar rêche comme la chemise d'un mort, et voilà qu'ils se la jouaient couleurs flashy, imprimés hawaiiens, bébés Cadum rigolos.

C'était déjà à n'y rien comprendre, et les Coen n'ont depuis jamais cessé de dérailler dans tous les sens, quitte à passer régulièrement pour deux guignols qui se payent la tête des studios, des critiques et des spectateurs. En entretien, ils ricanent ou sortent des haïkus ricains qu'on hésite à publier sans un lourd appareillage de notes. Et pourtant, quelques-uns de leurs films resteront des classiques des années 80-90, Fargo notamment.

Arizona junior est une histoire de couple stérile. Ed est flic, Hi est voyou. Lui braque n'importe quoi n'importe comment, elle le serre et le met au frais. Ils se calculent, s'épousent, projettent ensemble le bébé de l'amour. Sauf qu'Ed ne peut pas. Du coup, elle incite son mari à chauffer un bambin. Hi, qui n'a pas inventé le fil à couper le beurre, trouve que c'est une chouette manière de régler le problème. Dans le secteur, la femme d'un riche commerçant vient justement d'accoucher de quintuplés. Pareille marmaille pour un seul couple, on n'a pas idée. Et ils n'y verront que du feu. Hi prend un moutard dans le petit tas en couches-culottes. Un adorable angelot blond et joufflu qui ne tarde pas à passer de bras en bras, rapport à la récompense que ses parents ont promise à celui qui leur rapporterait la pièce manquante. Parmi les nounous de fortune, on trouve les deux frères Snoops (deux bandits crasseux directement puisés dans les égouts) et un motard de l'Apocalypse, Leonard Smalls, immense brute justicière façon Mad Max (mais en plus viril !).

Une cavalcade à travers l'Amérique à bord de voitures défoncées ou sur des Harley overcustomisées s'ensuit, jalonnée de gags de plus en plus absurdes. Les Coen repeignent l'Amérique des couleurs du cartoon, entre Woody Woodpecker hystérique et Wild Coyote affamé. Tout ici relève de l'esthétique de la pub (qui rend taré), de la sous-culture spaghetti post-Sergio Leone qui va bientôt accoucher de Quentin Tarantino (Reservoir Dogs atteint le Festival de Sundance en 1992).

Le couple formé par Nicolas Cage (affublé d'une moustache ridicule) et Holly Hunter est à l'avant-poste d'un film déjà traversé par de nombreux seconds rôles encore plus croustillants que le duo de vedettes, parmi lesquels John Goodman (que les Coen referont jouer dans Barton Fink et The Big Lebowski) ou Frances McDormand (Fargo). Dans un entretien datant de 1991, Joel Coen revenait sur les partis pris baroques des angles de caméra pendant tout le film : «C'est l'éternelle question du style. Les gens séparent toujours le style d'un film du reste : le sujet, les personnages. Ce qui importe, c'est la façon appropriée de traiter une situation, une scène. Dans le cas d'Arizona junior, le style convenait parfaitement à ce qu'on voulait raconter. Quand on a un type à motocyclette qui passe son temps à tirer au fusil sur des lapins, on peut s'autoriser des angles de prises de vue originaux et étranges, et donner au film une énergie un peu folle.»

Didier  PERON