La Dernière Cavale (Truth or Consequences) pourrait déposer un petit idéal grand écran. Pour commencer, Kiefer Sutherland et Vincent Gallo. Acteur 1997 avec Tim Roth (dont l'exposition cite le No Way Home contemporain), Vincent Gallo, rocker arty érotomane, est saisissant. Il paraît, inquiète en captivant, coupe en caressant. Avec lui corseté de sa rituelle pelure de cuir noir au chic rasqueux et Addy l'ébouriffée (Kim Dickens), anonyme blonde dévariée, on tient les Bonnie & Clyde de l'affaire. Du coup de foudre de la levée d'écrou jusqu'au happy end mélo, leur amour non seulement ne déçoit pas mais mouillera l'oeil.
L'autre bandit tragique (comme on dit de ceux de la bande à Bonnot) de ce western croisant road-movie et thriller est notre chouchou Kiefer Sutherland, fils de celui de Fellini déchu sciemment depuis (de Casanova à Virus). Soit Marcus le récidiviste ; bagouzes sataniques en guise de coup-de-poing américain, Oakley sur nez de porcelet coquet, chargé à bloc, calibres, destroy et goût du sang. Blondin boudiné et visqueux, c'est le tueur déséquilibré du lot, face à Ray le non-violent (sauf «légitime défense»). Casier léger, Raymond est tombé en couvrant un fourgue ingrat qui lui a manqué à sa sortie. Lequel ne l'emportera pas au paradis, puisque Curtis, à la faveur d'un fric-frac merdeux de représailles, lui truffe la cervelle. Ainsi qu'à son acolyte, par malheur taupe des stups. De là, mafia et police au cul, la «cavale» ultime. Si Sutherland fait tout le sale boulot, il l'a bien voulu. On le signalera donc réalisateur pour ce qu'il ne l'est pas trop, si peu. Cela se voit : tournage simple, décor naturel, habillage tout-venant, tirage terne à la Ken Loach, narration négligente. De sorte qu'il y a plus d'attrait à nos yeux dans ce débobinage de villes fantômes, motels, carambolages ploucs ponctués de tueries bâclées (le redneck égorgé ; la Saint-Valentin des caïds du hideux Vago...), que dans l'ordinaire distingué cinéphilique 1997 et après. Plus de cinéma dans ce document hors circuit, paumé sur des routes d'Amérique profonde inaperçues, exempt de poésie, que dans toutes les productions de l'exercice.
La Dernière Cavale, qu'on peut donner pour un ascendant du chef-d'oeuvre ultérieur The Way of the Gun (Benicio Del Toro et Ryan Philippe) et qui reconduit un modèle déposé convertible, celui de Sailor et Lula, Butch Cassidy & the Kid, The Getaway, etc., aurait cet avantage sur les antécédents cités qu'aucun soupçon d'art ne l'entache jamais. Point de malentendu esthétique. C'est du brut, rébarbatif, impec. Au début, après le casse ringard à mort (deux, morts), lorsque tout ça se bat dans un pré, puis braque deux pique-niqueurs, on se dit que le truc ne prendra pas, foutu... Mais Ray dit alors : «Tu nous prends pour quoi ? Des braqueurs de prosciutto ?» Et, crac, c'est réglé. Marcus Sutherland gagne d'autant à l'usage, par exemple, qu'il marque plus mal d'abord. Sur la B.O. zonarde, aux airs d'Indian Runner, ses déchaînements go-go démantibulés aux décibels font merveille : «Les flics sont les bons, nous les méchants, tout le monde connaît les règles.» C'est dit.
Les comparses sont au diapason : Martin Sheen et Rod Steiger en pourritures mafieuses ; le couple d'otages déchiré par le syndrome de Stockholm ; le pauvre pote chez qui la bande rabat et qui renifle les emmerdes... Tout est bien. A commencer par le couple, donc, boule de neige du cauchemar. Ray n'aurait jamais entraîné Addy là-dedans s'il avait su, tu sais... Addy la douce s'en fout, de tout ça, s'il l'aime «plus qu'à jamais». Ils se marieront et auront beaucoup d'enfants. Mais...
BAYON