Même les amoureux de Bordeaux ne trouvent guère la ville sympathique, chaleureuse ou accueillante. Et pourtant, ceux qui restent à Bordeaux finissent par se prendre à cette ville, par s'y engluer, par s'y attacher sinon par l'aimer. De même que l'on a pu dire que New York est une «ville debout», Bordeaux est une «ville à l'envers». Construite le long d'un fleuve, elle lui tourne le dos et, longtemps, ses quais ont plus été une barrière qu'une porte. Jusqu'au début des années 60, il n'y avait qu'un pont pour franchir la Garonne dont les deux rives paraissaient si éloignées que la radio annonçait des bouchons sur le Pont de pierre «dans le sens Paris-province». D'habitude, dans les villes du Midi, les cultures populaires se montrent exubérantes et les cultures bourgeoises se font discrètes. A Bordeaux, la bourgeoise s'exhibe à force d'être discrète et chacun, même les supporters des Girondins, pense qu'il ne faut pas trop en faire.
Selon les critères du patrimoine, Bordeaux est une belle ville. C'est vrai. Mais on a parfois le sentiment que cette beauté l'embarrasse. En vingt ans, le quartier Saint-Pierre est devenu touristique et «élégant». Le quartier Notre-Dame décolle à peine tandis que Saint-Michel ne bouge guère. Voilà pour la carte postale, qui dit aussi la vérité d'une ville. Tout se passe comme si la modernité de cette ville, comme si son caractère populaire il y a aussi des employés et des ouvriers à Bordeaux s'effaçaient derrière l'image d'une histoire nonchalant