Je ne suis pas né à Strasbourg, et je n'y ai vécu que pendant un an. Mais cette année entière, je peux la qualifier d'idyllique. Je parle de 1975. Depuis, mes séjours plus ou moins fréquents, liés au groupe Kat Onoma, et plus récemment au travail sonore sur le tramway, ont toujours été teintés de cette tonalité idyllique. Il ne s'agit pas de nostalgie. Il s'agit d'une expérience particulière (que d'autres ont faite), et que l'on pourrait appeler le passage de Strasbourg. On peut toujours refaire cette expérience, même si cela exige aujourd'hui un effort supplémentaire, tant pèse sur la ville (qui parfois l'encourage) la caricature qui s'en colporte dans les magazines (celle d'un grand magasin de Noël).
Strass-bourg est, comme son nom l'indique, une ville de passage, une croisée de chemins. Et même ceux qui y demeurent longtemps, ou qui sont venus y passer comme on dit leur vie, s'y sentent toujours de passage. Ce n'est pas parce qu'on ne les y accueille pas. C'est plutôt l'inverse : si à Strasbourg on peut vivre non pas en exil mais en suspension, en légère déliaison, c'est parce que rien ne peut faire oublier qu'elle fut, fondamentalement, une Ville libre (dès 1262). Et que toute sa grandeur, et toute sa beauté, sont toujours venues d'avoir su donner un lieu au passage, un abri à celui qui cherche son orientation. C'est la chaleur de Strasbourg. C'est la ville où Büchner trouvait refuge, la ville où la cathédrale était comme un totem intellectuel, autour duquel faisait h