L'amour est lent, je parle pour moi, l'amour est lent comme le vent qui gonfle les feuillages de la glycine dans le tiers inférieur de la fenêtre ouverte un tiers de vert, un tiers d'anthracite ardoise, un tiers bleu ciel et blancs nuages. Bleu, blanc : le pavois pantagruélien claque au-dessus de la ville. L'amour est lent, il grandit insensiblement, on ignore pourquoi on est là, pourquoi ces lieux, ces gens, pourquoi ce vent qui m'a déposé sur le sable de Loire, c'est la vie le vent, on prend racine tant bien que mal, on s'étonne, on rechigne, il faut du temps, et puis c'est là, bien présent bien prenant, l'amour du lieu, une sorte d'amour enfin. Me voilà ancré sur l'île des Andouilles.
Il est facile d'expliquer pourquoi on aime le Vercors, la Bretagne, le Pays basque, la Corse, paysages virils et puissants : ils en imposent, ils roulent leurs biceps de névés, de garrigues ou de houles, ils vous en mettent plein les yeux. Mais la Touraine ? Cette terra molla, e lieta, e dilettosa chère au Tasse, ces vallonnements paresseux, ce fleuve indolent, ces coteaux de craie... On y oublie tout, disait Balzac : «Je pardonne bien aux habitants d'être bêtes, ils sont si heureux !» Mais la nature de ce bonheur ? Etriqué, calculé, étouffé par le mesquin bourgeois ? Furtif et secret comme les reflets du fleuve dans les boires et les bras morts, les mousses lumineuses qui gagnent les sables à l'étiage ? Bouillonnant à l'insu du monde comme le moût d'octobre dans la pénombre des caves de tu