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Libération

Comme dans un tableau de De Chirico

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par Laurent MAUVIGNIER
publié le 28 février 2003 à 22h44

Parmi les traditions encore valides, il en est une qui a des attraits particuliers : celle qui veut que pour parler de sa ville, il faut la détruire, mâcher la pierre et le marbre pour recracher les gravats sur les vivants et les notables, passer ses nerfs sur ceux qui, au motif d'aimer l'histoire et le charme, la quiétude locale, nous inondent de leur suffisance et de leurs certitudes.

Mais il faut que la ville, ciblée plus que choisie, corresponde pour l'auteur à autre chose qu'à un lieu de vie : le lieu de sa naissance, de son enfance, les premiers vertiges, amours, dégoûts, alcools, éclats de rire et larmes conjugués dans la découverte et l'étonnement. Pour ma part, on m'a proposé il y a quelques mois d'écrire sur ma ville, cette fois natale jusqu'à l'os : Tours. J'ai préféré refuser. Non par peur de blesser ni par crainte de quelconques représailles ­ seulement il aurait été dommage de dégommer en quelques lignes un univers qui ne demande, en marinant, qu'à grossir et à prendre racine si loin que c'est en livres, en trombes, en mitrailles, qu'on se réserve les prochaines années pour répondre et satisfaire à la tradition.

Donc Bordeaux, puisque j'y vis. Bordeaux avec sa Garonne café au lait et ses rues infinies et désertes comme dans un tableau de De Chirico, me suis-je dit en débarquant ­ oui, je dis bien en débarquant, parce que quiconque arrive de l'autre côté de l'Entre-Deux-Mers est un homme du Nord qui se doit de savoir qu'en habitant Bordeaux il devra considérer, pr