Bordeaux envoyée spéciale
Vendredi matin, 2 heures, les bars ferment, les boîtes ouvrent. Trois garçons en jean. L'un porte des Clarks, le deuxième des Nike et le troisième des Adidas. Ils sont venus de Libourne «s'éclater» quai de Paludate. A la porte de la Grande Polux, la boîte-phare du quartier, les habituels mastards à crâne rasé. «Vous, oui. Mais pas toi, pas toi et pas toi.» «Pourquoi ?» «Pas les chaussures qu'il faut.» «C'est quoi les chaussures qu'il faut ?», interroge le plus petit, celui aux Clarks en daim blanc, modèle mocassin. «T'as très bien compris», répond le malabar.
Rachid, Mohammed et Tarik ont très bien compris. Ils ont 18 ans, ils sont lycéens. C'est la troisième fois ce soir qu'un musclé, l'un était un peu black, les refoule à cause de leurs chaussures. Une femme s'interpose : «Je connais le délit de faciès. Mais pas le délit de chaussures.» «Maintenant ça suffit, dit le videur de la Grande Polux, c'est privé ici. Si ça ne vous plaît pas, vous partez.» Sur le trottoir, Rachid, le visage rosi par les néons qui clignotent : «On rentre ? J'en ai marre.» (1)
«Gay gai». Ici, annoncent les tubes fluorescents de la façade, c'est «gay gai et lesbien bien». Et aussi hétéro. A l'intérieur, tout le monde s'éclate sur deux étages. Le décor semble récupéré des studios de télé des années 70. Plastique, peluche, ballons, jouets, couleurs primaires du sol au plafond. C'est cheap, délirant, rose bonbon. En bas, deux cents à trois cents post-ados sautillent en cadence sur