Tout oppose les deux médicaments vedettes de 1994, qui n'ont en
commun que les passions qu'ils déchaînent. D'un côté, le Prozac, antidépresseur américain à succès, de l'autre la méthadone, drogue longtemps maudite, élevée depuis le 16 décembre au rang de médicament. Du Prozac, on dit, en dépit du secret stratégique qui protège ses chiffres de vente, qu'il fait les délices de onze millions de déprimés dans le monde entier. Il soigne le blues qui a progressivement gagné les années 1990. C'est dire qu'il ratisse large: il fait oublier aux chômeurs qu'ils n'ont pas de travail, aux surmenés et aux exploités qu'ils en ont trop, aux mal aimés qu'ils n'ont pas d'amour et aux frustrés qu'ils n'ont pas de plaisir. Mieux encore, parce qu'il coupe l'appétit, on l'utilise pour maigrir. Il guérirait même les manies des obsessionnels. Des vétérinaires américains le prescrivent à leurs chiens cafardeux et on voit même des sportifs de haut niveau se mettre au Prozac pour améliorer leurs records. Quitte à choquer, il faut d'emblée expliquer que ces bienfaits n'ont rien de miraculeux. Le seul miracle du Prozac est commercial: c'est son succès. Il s'agit en effet d'un antidépresseur, une classe de psychotropes connue depuis les années 60 pour leur remarquable efficacité dans la dépression. Le seul problème des antidépresseurs, c'est qu'ils faisaient peur aux médecins et surtout aux médecins généralistes, qui voient en consultation l'immense majorité de ceux qui, de manière plus ou moins avouée